Le Sénat de la République démocratique du Congo s’apprête à naviguer en eaux troubles. Ce lundi marque le coup d’envoi de l’examen en seconde lecture du projet de loi de reddition des comptes 2024, un exercice de transparence budgétaire qui intervient dans un contexte de délais improbables et de tensions politiques latentes. Alors que la session ordinaire de septembre, traditionnellement dévolue aux finances publiques, doit tirer sa révérence dans quinze jours à peine, la Chambre haute se trouve confrontée à une équation complexe, voire périlleuse.
Le texte, adopté dans la précipitation par l’Assemblée nationale le 28 novembre dernier, a été transmis dans la foulée à la chambre de réflexion. Cette célérité administrative contraste singulièrement avec l’engorgement et les retards qui caractérisent le parcours législatif de cette année. Le véritable casse-tête, cependant, ne réside pas seulement dans cette reddition des comptes 2024. Il se niche dans l’autre versant, autrement plus substantiel, de la session budgétaire : le projet de loi de finances 2026. Ce dernier, pierre angulaire de la prévision économique de l’État, stagne toujours au stade de l’étude approfondie au sein de la commission Écofin de l’Assemblée nationale. Un retard qui, à ce stade, semble mathématiquement impossible à combler pour permettre un examen serein et complet par le Sénat RDC.
Comment en est-on arrivé à une telle course contre la montre ? La réponse plonge ses racines dans les tensions politiques qui ont secoué l’hémicycle de l’Assemblée nationale pendant plusieurs semaines. Une série de pétitions visant cinq des sept membres du bureau a instillé un climat de défiance et de paralysie procédurale. L’épilogue de cette crise interne a vu la démission du président Vital Kamerhe et de la rapporteure adjointe Dominique Munongo, tandis que trois autres membres du bureau ont été maintenus, une commission spéciale n’ayant relevé aucune « faute lourde » à leur encontre. La procédure de remplacement, aboutissant à l’installation d’Aimé Boji et de Clotilde Mutita le 13 novembre, a consommé un temps précieux, au détriment de l’agenda législatif. Le président jouait gros avec la stabilité de son institution, et les séquelles de cette tempête se font sentir sur l’ensemble de la machine parlementaire.
La reconstitution du bureau a certes permis la reprise des travaux, mais dans un cadre temporel déraisonnable. Des sources officielles confirment l’inflexibilité du calendrier : toutes les matières financières doivent être impérativement bouclées avant le 15 décembre, date de clôture de la session ordinaire de septembre. L’hypothèse d’une session extraordinaire est d’ores et déjà écartée. Le Sénat se voit donc contraint d’accomplir un travail d’analyse et de modération constitutionnelle en un temps record, posant une question fondamentale sur la qualité du contrôle démocratique. Peut-on sérieusement examiner la gestion des deniers publics de l’année écoulée et voter le budget des années à venir dans une telle précipitation ?
Les implications de ce calendrier bousculé sont lourdes de conséquences. Un examen expéditif de la reddition des comptes 2024 risque d’occulter des irrégularités ou de passer sous silence des questions essentielles de gestion. Pire, le report ou l’adoption précipitée du projet de loi de finances 2026 pourrait saper la crédibilité de l’outil budgétaire, privant l’État d’une feuille de route financière robuste. Cette situation place les sénateurs dans une position délicate : doivent-ils acter un travail inabouti par devoir constitutionnel, ou risquer un blocage institutionnel en exigeant plus de temps ?
Cette séquence révèle, en filigrane, une fragilité persistante des institutions congolaises. Les luttes intestines au sein de la majorité ou de l’opposition peuvent, en un instant, gripper l’ensemble du processus législatif et mettre en péril la gestion saine de l’État. La session ordinaire de septembre, supposée être un moment de sérénité technocratique, s’est transformée en un baromètre des tensions politiques à Kinshasa. La balle est désormais dans le camp du Sénat RDC. Sa capacité à mener un examen rigoureux malgré la pression du temps déterminera non seulement la légitimité de la reddition des comptes, mais enverra également un signal crucial sur la maturité politique du pays. Les prochains jours seront décisifs pour la crédibilité budgétaire de la RDC.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
