La Cour d’assises de Paris a entamé, ce lundi, la seconde semaine de son procès historique visant à établir la responsabilité de Roger Lumbala, ancien chef du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-National (RCD-N), dans une série de crimes contre l’humanité commis en République Démocratique du Congo (RDC). Cette nouvelle phase d’audience est consacrée à l’audition d’une nouvelle série de victimes, de témoins et d’experts, certains se présentant physiquement devant la cour, d’autres intervenant par visioconférence depuis Bunia ou Kinshasa. L’objectif central de la juridiction française reste de déterminer le degré d’implication de l’accusé, qui persiste à bouder les débats, dans les exactions perpétrées entre 2002 et 2003 dans les régions de Bafwasende, Epulu, Mambasa et Isuri.
La semaine précédente avait déjà été marquée par le passage à la barre d’une dizaine de personnes, venues décrire avec une précision glaçante les violences subies. Sous le régime du huis clos pour protéger la dignité des victimes de viols, des récits de pillages systématiques, d’actes de torture, de meurtres et de viols collectifs ont été détaillés. Ces atrocités auraient été orchestrées par des éléments du RCD-N dans le cadre de l’opération militaire controversée dite « Effacer le tableau », menée conjointement avec le Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. La stratégie du ministère public consiste à démontrer, au-delà des témoignages directs, l’autorité effective de Roger Lumbala sur ces troupes.
La question de la chaîne de commandement constitue le nœud de ce procès pour crimes contre l’humanité en RDC. L’accusé avait, lors de l’instruction, plaidé n’avoir agi que sous les ordres du MLC, niant ainsi une responsabilité pénale autonome. Pour contrer cette ligne de défense, l’accusation a produit et lu en audience une série d’articles de presse issus de médias congolais tels que Les Coulisses ou Le Millénaire, mais aussi de radios internationales comme RFI. Dans ces documents, Roger Lumbala se présentait sans ambages comme le leader du RCD-N. Plus troublant encore, un article le citait revendiquant la paternité des combattants d’« Effacer le tableau » : « Si ces troupes n’étaient pas du RCD-N, elles n’allaient jamais accepter d’aller se faire tuer pour moi », déclarait-il alors à un journaliste.
Un enregistrement radio de RFI a également été soumis à l’appréciation des juges et des jurés. On y entendait Roger Lumbala et son rival de l’époque, Mbusa Nyamwisi du RCD-KML, se féliciter d’un accord de cessez-le-feu signé à Gbadolite. Cet accord, parrainé par des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, était conclu entre le RCD-KML, le RCD-N et le MLC, présentant ainsi les trois mouvements comme des entités distinctes et souveraines. Cet élément tend à corroborer la thèse de l’accusation selon laquelle le RCD-N opérait de manière autonome, et non comme une simple branche subalterne du MLC. Comment, dans ces conditions, Roger Lumbala pourrait-il aujourd’hui se retrancher derrière l’autorité d’autrui ?
Les témoignages des victimes entendus la semaine dernière ont apporté des éléments concrets sur le terrain. Plusieurs ont affirmé avoir vu Roger Lumbala en personne apporter des renforts militaires et des armes à ses troupes à Mambasa, Epulu et Isiro, le situant physiquement au cœur du théâtre des opérations. Ces récits directs viennent s’ajouter aux rapports qui, dès l’époque, dénonçaient l’extrême brutalité de l’opération. La Cour a ainsi évoqué les déclarations de l’évêque du diocèse de Butembo-Beni, qui avait révélé à la presse des cas de pratiques cannibales parmi les pires exactions commises.
Cette deuxième semaine d’audience s’annonce donc cruciale pour la suite de cette procédure historique devant la Cour d’assises de Paris. L’audition d’experes, notamment des médecins et psychologues, viendra documenter scientifiquement l’état de stress post-traumatique et les séquelles physiques indélébiles portées par les victimes. Leur expertise est essentielle pour qualifier juridiquement l’ampleur des préjudices subis et comprendre le niveau d’affect requis pour caractériser les crimes contre l’humanité. Les juges et les jurés français, par ce travail méticuleux de reconstitution, tentent de rendre une justice au nom des victimes civiles de l’Ituri, une région martyre de la RDC.
Alors que Roger Lumbala maintient son absence, le procès continue d’avancer, bâti sur des preuves documentaires et des paroles longtemps étouffées. La stratégie de la défense, qui reposait sur un déni de responsabilité directe, est-elle en train de s’effriter sous le poids des archives médiatiques et des témoignages concordants ? Les prochains jours d’audience, avec l’arrivée de nouveaux témoins et le dépôt des rapports d’expertise, devraient apporter des éléments de réponse décisifs. L’enjeu dépasse la seule personne de l’accusé ; il s’agit pour la justice universelle de dire le droit sur des crimes qui ont ensanglanté l’est de la République Démocratique du Congo et de reconnaître la souffrance de ses populations.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd
