« Si les machines partent à Butembo, comment vais-je faire pour obtenir mon passeport ? Je n’ai pas les moyens de me déplacer et encore moins de graisser des pattes pour un service qui devrait être un droit », s’indigne Jean, un jeune habitant de Beni, le visage marqué par l’inquiétude. Ce dimanche 20 novembre 2025, des centaines de personnes comme lui ont investi les artères principales de la ville pour crier leur colère. La raison ? L’annonce par les autorités du transfert des machines de capture des passeports vers la ville voisine de Butembo. Cette décision, perçue comme un coup de canif dans l’accès à un service public essentiel, a mis le feu aux poudres et déclenché une manifestation à Beni d’une rare intensité.
Le cortège, composé d’hommes, de femmes et de jeunes, a transformé les rues en un champ de revendications. Les pancartes, brandies comme des boucliers contre l’injustice, parlaient d’elles-mêmes : « Pas de trafic d’influence au centre de capture à Beni », « L’option de passeport est un droit », « Nous ne voulons pas que les machines partent à Butembo ». Chaque slogan est un cri du cœur, une peur concrète qui dépasse la simple logistique administrative. Les manifestants, organisés et déterminés, ne dénoncent pas seulement un déménagement. Ils pointent du doigt un risque systémique de trafic d’influence à Beni, de favoritisme et de corruption qui pourrait naître d’une centralisation des équipements ailleurs. « Centraliser à Butembo, c’est ouvrir la porte aux combines, affirme Marie, une commerçante. Ici, à Beni, on a nos habitudes, une certaine transparence. Là-bas, qui contrôlera ? Qui paiera pour être prioritaire ? »
Cette opposition entre Beni et Butembo sur la question du transfert des machines à passeports révèle une fracture plus profonde. Le centre de capture de Beni ne dessert pas seulement la ville. Il est un point d’accès crucial pour des milliers de personnes venues des territoires environnants, souvent sinistrés par des années de conflits. Son éventuel démantèlement signifierait un allongement des distances, une explosion des coûts indirects de transport et d’hébergement, et in fine, un renoncement pour les plus pauvres. Comment, dans une région où la mobilité est déjà un défi, justifier un recul de l’État ? La question de l’service public des passeports au Nord-Kivu est ainsi au cœur des préoccupations. Les organisateurs de la marche l’ont bien compris, eux qui appellent le gouvernement à garantir un accès équitable et transparent. « Nous demandons simplement le maintien de ce service vital, explique un porte-parole des manifestants. C’est une question de dignité et de justice sociale. Priver Beni de ses machines, c’est priver une région entière d’un droit fondamental : celui de circuler et de s’identifier. »
Au-delà de la colère immédiate, cette mobilisation pose une question rhétorique fondamentale : l’État congolais peut-il se permettre de complexifier l’accès aux documents d’identité dans une zone aussi sensible ? Dans un contexte où la légitimité de l’administration est parfois mise à mal, chaque geste compte. Le transfert des machines de passeports est perçu comme un signe de désengagement, un coup porté à la décentralisation effective des services. Les craintes exprimées ne sont-elles pas le symptôme d’une défiance ancienne envers des pratiques opaques ? La population redoute que derrière ce mouvement technique ne se cache un calcul moins avouable, une mainmise sur un processus administratif qui pourrait devenir une source de revenus illicites pour certains. Cette affaire dépasse donc le simple cadre administratif pour toucher à la gouvernance et à la relation entre l’État et ses citoyens.
La manifestation de Beni est un signal d’alarme. Elle rappelle que dans l’est de la RDC, les services de base sont des bouées de sauvetage. Les enjeux sont clairs : garantir la continuité et la qualité du service public, lutter contre les germes de la corruption, et maintenir la présence de l’État dans toutes ses composantes. Le gouvernement se trouve à un carrefour. Il peut soit ignorer cette levée de boucliers et prendre le risque d’alimenter un sentiment d’abandon, soit écouter les justes inquiétudes de la population et revoir sa copie. L’enjeu est de taille : il s’agit de reconstruire la confiance, brique par brique, en commençant par des actes concrets comme le maintien d’un centre de capture accessible à tous. L’histoire retiendra-t-elle ce dimanche de novembre comme un tournant dans la défense des droits administratifs au Nord-Kivu ? La balle est désormais dans le camp des décideurs.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net
