Imaginez une mère de famille, contrainte de quitter son village du territoire de Rutshuru sous la menace des violences. Après des jours de marche, elle arrive à Goma, épuisée, avec ses enfants, cherchant un refuge et une aide vitale. Mais pour obtenir un sac de farine ou un accès aux soins, on lui impose un choix insupportable : échanger son corps contre de l’aide. Ce scénario, malheureusement répandu, illustre la détresse des personnes déplacées face à l’exploitation sexuelle par certains acteurs humanitaires. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout, que fait-on pour y mettre fin ?
Face à cette réalité brutale, l’ONG Wokovu Way, dont le nom signifie « la voie du salut », a décidé d’agir. Du 1er au 3 novembre, elle organise à Goma, capitale du Nord-Kivu en proie à une crise humanitaire aiguë, une formation destinée aux acteurs humanitaires. L’objectif est clair et urgent : renforcer la prévention des abus sexuels et de l’exploitation au sein même des circuits d’aide. Cette initiative tombe à point nommé alors que des milliers de personnes, fuyant les conflits, affluent vers la ville.
Le directeur exécutif de Wokovu Way, Alain Bagula, dresse un constat alarmant. « Nous sommes partis du constat d’une crise humanitaire où des mouvements massifs de déplacement ont eu lieu vers Goma depuis les territoires de Rutshuru, de Masisi et une partie de Kalehe », explique-t-il. Beaucoup de ces personnes, tentant de retourner dans leurs milieux d’origine, restent dépendantes de l’aide humanitaire. C’est dans ce contexte de vulnérabilité extrême que prospère un commerce ignoble. « Certains acteurs humanitaires conditionnent les aides au sexe. Cette situation frustre profondément la communauté et pousse des populations, par désespoir, à accepter l’inacceptable. »
Les conséquences de ces pratiques vont bien au-delà de la violation immédiate des droits. Elles laissent des cicatrices profondes sur la santé mentale des survivants, un aspect trop souvent négligé dans l’urgence des distributions. La formation de trois jours organisée à Goma porte précisément sur « l’Impact de l’exploitation et des abus sexuels sur la santé mentale des survivants en contexte de crise humanitaire ». Il s’agit d’un sujet crucial pour une région comme le Nord-Kivu, où le traumatisme de la guerre se double, pour beaucoup, de celui de l’abus par ceux qui sont censés les protéger.
Cette formation sur la prévention des abus sexuels dans l’humanitaire est donc une pierre angulaire pour reconstruire la confiance. Elle vise à équiper les travailleurs sur le terrain avec les outils nécessaires pour identifier, prévenir et signaler ces actes répréhensibles. Dans une ville comme Goma, épicentre de la crise humanitaire en RDC, où les besoins sont immenses et les ressources limitées, garantir l’intégrité de l’aide n’est pas une option, mais une condition sine qua non de son efficacité.
Mais une formation suffira-t-elle à éradiquer un fléau si ancré ? La question mérite d’être posée. L’exploitation sexuelle dans les zones de crise est un problème systémique qui requiert une réponse tout aussi systémique : des mécanismes de signalement accessibles et confidentiels, une tolérance zérale appliquée par toutes les ONG, et une prise en charge holistique des survivants, incluant un soutien psychologique robuste. Les déplacés de RDC, déjà meurtris par les conflits, ne devraient pas avoir à affronter ce double fardeau.
L’initiative de Wokovu Way est un signal fort. Elle rappelle que l’éthique doit être au cœur de toute action humanitaire. Alors que la communauté internationale mobilise des fonds pour la crise humanitaire à Goma, il est impératif que les bailleurs et les agences placent la protection contre l’exploitation et les abus sexuels en tête de leurs priorités. La crédibilité de tout le secteur en dépend. Les populations déplacées du Nord-Kivu méritent une aide digne, qui les soulage sans les humilier, qui les soigne sans les blesser davantage. Le chemin du salut, pour reprendre le nom de l’ONG, passe nécessairement par là.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
