Jamais la République démocratique du Congo n’a paru aussi fragilisée, prise dans l’étau d’une insécurité endémique et d’impasses institutionnelles. À l’Est, la guerre continue de condamner des milliers de familles à la faim et à l’errance ; au centre, le débat démocratique s’éteint au profit d’un pouvoir de plus en plus centralisé. Que reste-t-il de l’espérance collective face à ces déroutes étalées sur fond de réformes et d’annonces ?
Cette semaine, l’actualité congolaise a tourné autour de deux pôles majeurs, étroitement liés : le délitement sécuritaire et humanitaire dans nos provinces orientales, et l’étouffement du débat démocratique à Kinshasa et dans les institutions.
À l’Est, la vague des violences n’a pas faibli. Plus de 68 civils tués en trois mois par les groupes armés Wazalendo, nouvelle attaque ADF contre un centre de santé à Byambwe (20 morts dont 18 hospitalisés), multiplication des pillages, affrontements M23-Wazalendo à Masisi et Walikale, rackets géants imposés aux taximen-motos… Les mêmes scènes d’épouvante se répètent : exode de milliers de ménages vers Rutshuru et Ituri, femmes journalistes brisées par le stress à Goma, routes stratégiques bloquées, populations privées de soins et de vivres. Sur ce terrain d’abandon, la fausse lumière des négociations de Doha et Washington éclaire à peine : les « avancées » affichées sur les protocoles de paix ne trouvent aucune traduction sur le terrain. L’aide humanitaire reste entravée, les hôpitaux débordés, la famine s’avance à grand pas et la Croix Rouge n’a guère les moyens de faire plus.
Or, tandis que l’urgence humanitaire se fait criante, la justice et la démocratie subissent aussi une érosion préoccupante. Plusieurs députés, ONG et acteurs de la société civile dénoncent la suspension des motions dans les assemblées provinciales, la domination des candidatures uniques au bureau de l’Assemblée, et l’instrumentalisation des crises pour resserrer l’étau sur la liberté d’expression et le fonctionnement des institutions. L’opposition crie au recul démocratique, la majorité invoque la guerre pour museler le pluralisme et les contre-pouvoirs provinciaux. De plus, dans l’Est, la population redoute que l’étatisation de la justice promise par Kinshasa demeure lettre morte, alors même que les régions occupées voient s’imposer des justices parallèles, racketteuses et violentes.
Sur le plan économique, il y a bien, en apparence, de « bonnes nouvelles » : recettes fiscales records sur dix mois, baisse promise du prix du carburant, avancées sur le cobalt « éthique », efforts en matière d’infrastructures… Mais le peuple congolais ne le ressent pas. À Kinshasa, les prix des denrées ne baissent pas malgré la stabilisation du franc congolais ; dans les villages, la faim et le chômage progressent, les jeunes voient leur avenir réduit à l’exil, à la débrouille ou à la fuite. Partout, les barrières illégales, la corruption, la pénurie et l’insécurité minent la confiance et la résilience de la société.
L’ensemble dessine un pays au bord de l’asphyxie, où la « guerre contre l’ennemi extérieur » se substitue trop souvent à une remise en question interne. Pourtant, ce sont nos institutions vivantes, la sécurité, le pain quotidien et les droits de chacun qui devraient, chaque jour, constituer l’alpha et l’oméga de l’action publique.
Refuser la normalisation du chaos doit être un mot d’ordre commun. Notre devoir collectif est d’exiger la fin des violences contre les civils, un plan d’urgence humanitaire et un retour à la pluralité démocratique. Gouverner, dans la guerre ou la paix, exige beaucoup plus que des réformes économiques ou des discours sur la scène internationale : cela implique d’écouter le cri des populations, de redonner force et indépendance aux institutions locales, et de ne jamais sacrifier la liberté sur l’autel de la crise sécuritaire. Interpellons-nous, citoyens et décideurs : chaque recul toléré aujourd’hui hypothèque l’avenir même de la nation congolaise.
— La Rédaction de CongoQuotidien
