Le ras-le-bol gronde sur les routes du Nord-Kivu. Imaginez-vous à la place de Jacques, taximan moto sur l’axe Walikale-Goma, contraint de céder près de 200.000 francs congolais pour circuler sur une route qu’il connaît pourtant comme sa poche. « Comment voulez-vous que nous survivions ? Entre les frais d’essence, d’entretien et ces barrières qui pullulent, nous travaillons pratiquement pour rien », se désole-t-il, la voix chargée d’amertume.
Dès lundi prochain, lui et ses collègues pourraient bien déposer les clés. La menace de grève plane comme une épée de Damoclès au-dessus de cette artère vitale de la province. Neuf barrières entre Miba et Iriru, tenues aussi bien par les Wazalendo que par les forces gouvernementales, asphyxient littéralement cette profession déjà précaire. Les motards doivent débourser environ 20.000 francs à chaque point de contrôle, tandis que les clients voient leur trajet alourdi de 70.000 francs supplémentaires en « frais de circulation ».
Mais au-delà de l’aspect financier, c’est tout un écosystème économique qui tremble. La route Walikale-Goma, dans un état délabré avancé, dépend essentiellement des taxis-motos pour le transport des personnes et des marchandises. Que se passera-t-il si ces deux-roues venaient à disparaître de la circulation ? Les conséquences pourraient être catastrophiques pour toute une région déjà fragilisée.
« Nous ne demandons pas la lune », explique le porte-parole des taximen. « Juste que les autorités mettent fin à ces perceptions illégales et se concentrent sur leur véritable mission : assurer notre sécurité et dénicher les ennemis de la paix. » Une requête qui semble pourtant bien difficile à satisfaire dans ce contexte tendu.
L’insécurité persiste d’ailleurs sur le tronçon Kashebere-Walikale, où huit cas de fusillade ont été enregistrés en seulement deux mois, selon un communiqué récent d’Amani Bitaha Lucien. Les pillages accompagnés de tirs nourris deviennent monnaie courante, créant un climat de terreur permanent pour les usagers de cette route.
La situation actuelle interpelle sur plusieurs paradoxes congolais. Comment expliquer que ceux qui sont censés protéger la population deviennent parfois ses premiers bourreaux ? Pourquoi laisser s’installer une telle économie de la prédation sur des axes vitaux pour le développement de la région ?
Si la grève se concrétise, les premières victimes seront les populations locales. Rupture des stocks de marchandises en provenance de Goma, flambée des prix des produits manufacturés, isolement accru des communautés rurales… L’effet domino pourrait plonger toute une région dans une crise économique sans précédent.
Les taximen motos, souvent perçus comme une simple solution de transport, révèlent ici leur importance cruciale dans le maillage économique du Nord-Kivu. Leur colère légitime met en lumière les dérives d’un système où la circulation devient un privilège plutôt qu’un droit. Jusqu’où faudra-t-il aller pour que leurs voix soient enfin entendues ?
La balle est désormais dans le camp des autorités provinciales et nationales. Supprimer ces barrières illégales ne serait pas seulement une victoire pour les taximen, mais un signal fort envoyé à toute la population : celui d’un État capable d’assurer la libre circulation, base fondamentale de toute économie saine.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
