Dans la pénombre feutrée du Centre Wallonie-Bruxelles, une vibration particulière anime l’air. Ce lundi 10 novembre, dans le cadre prestigieux de la 11e édition de la Fête du Livre Kinshasa, les mots de Tatiana Meijers-Lippert résonnent comme un écho entre deux continents. Son premier roman, Mundele, publié aux éditions Asmodée Edern, devient le prétexte d’une conversation intime sur les héritages croisés et les identités multiples.
L’événement, inscrit au programme « Plaisir d’écrire et de lire » et animé par Grâce Bilola Kakera de l’Association des Jeunes Écrivains du Congo accompagnée de l’écrivain Joyeux Ngoma, prend des allures de confession littéraire. Face à un public conquis, l’auteure dévoile les strates de sa création avec une sincérité qui touche au plus profond de l’âme. Comment une fiction peut-elle devenir le miroir de mémoires enfouies ?
Mundele, qui signifie « Blanche » en lingala, raconte le parcours d’Ava, adolescente de quatorze ans ballotée par le divorce parental. Dans les profondeurs du métro bruxellois, elle rejoint un groupe de jeunes issus de la diaspora africaine, découvrant à travers graffitis et révoltes silencieuses un Congo qu’elle porte en elle comme une empreinte génétique. Le roman devient alors cette passerelle fragile entre Bruxelles et Kinshasa, entre mémoire individuelle et histoire collective.
« Mundele est une fiction, mais elle s’inspire profondément de mon adolescence », confie Tatiana Lippert, professeure passionnée par les dynamiques interculturelles. Sa voix, calme et posée, contraste avec la turbulence qu’elle décrit : « J’ai voulu comprendre comment l’image que je renvoie aujourd’hui, celle d’une femme blanche, calme et rangée, s’éloigne de la jeune fille insoumise que j’étais. L’adolescence est cette période charnière où l’on est à la fois fragile et sincère, avant que la vie adulte n’impose ses filtres. »
Le Congo, dans cette œuvre, n’est pas un simple décor exotique mais bien un personnage à part entière. Présence obsédante, mémoire transgénérationnelle, il hante les pages comme il hante les consciences. « Mon père est né au Congo et y a vécu jusqu’à ses six ans avant de rentrer en Belgique », révèle l’auteure. « Ce départ forcé a laissé dans notre famille une blessure silencieuse, jamais vraiment formulée. Je crois que cette douleur s’est transmise d’une génération à l’autre, sous forme de non-dits que j’ai voulu explorer dans Mundele. »
À travers la quête d’Ava, Tatiana Lippert interroge avec une rare délicatesse les traces persistantes du passé colonial. Comment ces mémoires blessées continuent-elles d’habiter les corps et les imaginaires, même chez ceux qui croient en être détachés ? Dans les tunnels du métro, au contact des jeunes Congolais qu’elle rencontre, l’héroïne perçoit ce lien mystérieux qui la relie à une Afrique qu’elle ne connaît que par fragments. « Elle marche sur le fil fragile entre deux continents, deux vérités, cherchant dans la nuit urbaine un reflet d’elle-même qu’elle puisse enfin aimer », décrit l’écrivaine.
La discussion à Kinshasa a magnifiquement mis en lumière le rôle de la littérature comme espace de réconciliation. Dans un contexte où les débats sur la mémoire coloniale demeurent passionnels, Mundele apporte une respiration nécessaire, une écriture de l’empathie qui dépasse les clivages. « La littérature peut être un pont, un lieu de rencontre entre les mémoires », souligne Tatiana Lippert. « Écrire, c’est aussi relier, comprendre d’où l’on vient pour mieux dialoguer avec l’autre. »
Jemima Ntela, jeune écrivaine qui a prêté sa voix à des extraits du roman lors de la rencontre, salue « la simplicité dans l’originalité » de la plume de l’auteure. « Son écriture danse avec les figures de style, elle respire à travers des éléments comme l’eau ou la terre, transformant chaque image en symbole, en miroir. Elle donne ainsi une voix à la crise identitaire d’Ava, et peut-être à la nôtre aussi. »
Et d’ajouter, percutante : « Chez elle, Mundele ne se limite plus à blanc comme on peut le penser. Il devient le mot de ceux qui ne trouvent pas leur place. Parfois, nous sommes tous des Mundele, lorsque nos idées dérangent, lorsqu’on ne rentre pas dans le moule. » Cette réflexion résonne particulièrement dans le contexte de la littérature congolaise contemporaine, en pleine effervescence créative.
Au-delà du simple roman d’apprentissage, Mundele s’impose comme une méditation poétique sur la transmission et les identités plurielles. L’œuvre de Tatiana Meijers-Lippert, en explorant les zones d’ombre de l’histoire familiale et collective, ouvre des perspectives nouvelles dans le paysage littéraire africain et européen. Elle témoigne de cette génération d’artistes qui, par la création, tentent de tisser des liens entre des mémoires longtemps séparées.
Alors que la 11e Fête du Livre de Kinshasa se poursuit jusqu’au 15 novembre, cette rencontre autour du Mundele roman restera comme l’un de ces moments où la littérature accomplit sa mission la plus noble : créer du dialogue là où les silences ont trop longtemps régné. Dans l’écrin de verdure du Centre Wallonie-Bruxelles, les mots ont une fois de plus prouvé leur pouvoir de rassemblement, leur capacité à transcender les frontières et à réconcilier les mémoires.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
