Alors que les tensions diplomatiques persistent dans la région des Grands Lacs, la question de la réouverture aéroport Goma cristallise les divergences stratégiques entre Kinshasa et la rébellion du M23. L’Union européenne, par la voix de son représentant spécial Johan Borgstam, vient d’apporter un soutien sans équivoque à l’initiative française de relance du trafic humanitaire, créant ainsi un nouveau front de négociations dans ce conflit qui ensanglante le Nord-Kivu depuis des mois.
Le diplomate européen, s’exprimant ce mercredi 5 novembre à Kinshasa à l’issue d’une mission de travail, a martelé l’importance cruciale de cette réouverture, même à petite échelle. « Permettre quelques vols humanitaires Est RDC serait déjà un signal fort », a-t-il déclaré, soulignant la nécessité de rapprocher « les réalités diplomatiques et les réalités du terrain ». Une position qui contraste singulièrement avec celle des autorités de fait du M23, qui qualifient cette initiative d’« inopportune » et « déconnectée de la réalité ».
La diplomatie Grands Lacs se trouve ainsi face à un paradoxe saisissant : comment concilier les impératifs humanitaires urgents avec les considérations sécuritaires et politiques immédiates ? L’UE semble avoir choisi son camp, estimant que cette réouverture constituerait « un signal fort d’attention en faveur des populations des zones sous contrôle rebelle ». Le message est clair : l’accès humanitaire ne saurait être otage des calculs politico-militaires.
Pourtant, le gouvernement congolais, par la voix de la Première ministre Judith Suminwa, marque ses distances en insistant sur la « nécessité d’impliquer les institutions nationales dans le processus ». Une position qui traduit la méfiance habituelle de Kinshasa face aux initiatives internationales perçues comme empiétant sur sa souveraineté. Le ministère des Transports a été chargé de suivre ce dossier de près, signe que les autorités congolaises entendent garder la main sur ce dossier sensible.
Du côté du M23, la réaction ne s’est pas fait attendre. Corneille Nangaa, coordinateur politique du mouvement rebelle, a dénoncé une décision prise « sans aucune consultation préalable » avec son organisation. Plus grave encore, il a fustigé « les pratiques de certains lobbys humanitaires » qui, selon lui, « se nourrissent de la détresse des populations déplacées ». Une accusation qui en dit long sur la défiance réciproque qui caractérise les relations entre belligérants et acteurs humanitaires.
La Conférence de Paris, organisée par la France en coordination avec le Togo, aura donc réussi à mettre sur la table une proposition concrète, mais elle bute sur la complexité des rapports de force locaux. Emmanuel Macron, en annonçant cette réouverture, avait pourtant souligné son importance pour la stabilité régionale. Mais dans l’Est de la RDC, les bonnes intentions diplomatiques se heurtent souvent à la dure réalité des conflit M23 Nord-Kivu.
L’argument humanitaire avancé par l’UE est-il suffisant pour faire taire les réticences ? La dégradation de la situation sur le terrain, avec des millions de déplacés et une aide humanitaire difficile d’accès, plaide en faveur d’une action rapide. Mais les enjeux de souveraineté et les considérations stratégiques des différentes parties risquent de retarder encore la concrétisation de ce projet.
La balle est désormais dans le camp des négociateurs. Les pourparlers de Doha et l’accord de paix de Washington avaient créé un cadre propice au dialogue. La question de la réouverture de l’aéroport de Goma constituera un test décisif pour mesurer la volonté réelle des différents acteurs de trouver une issue pacifique à ce conflit. L’UE soutien humanitaire RDC joue ici un rôle de catalyseur, mais sa marge de manœuvre reste limitée par les logiques conflictuelles locales.
À moyen terme, cette initiative pourrait pourtant représenter une opportunité unique de désenclavement humanitaire et de projection de l’autorité étatique dans des zones aujourd’hui hors de contrôle gouvernemental. Reste à savoir si les différentes parties sauront dépasser leurs intérêts immédiats pour privilégier l’urgence humanitaire. La réponse à cette question déterminera largement l’avenir de la région pour les mois à venir.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
