Dans un contexte de crise sécuritaire aiguë, le gouvernement congolais opère un virage institutionnel controversé en demandant aux assemblées provinciales de suspendre sine die les instruments démocratiques que sont les pétitions et motions parlementaires. Cette décision, justifiée par l’impératif de stabilité en période de guerre, soulève d’importantes questions sur l’équilibre des pouvoirs dans les provinces en proie à des instabilités politiques récurrentes.
Le ministre de l’Intérieur et Sécurité, Jacquemain Shabani, a martelé son message devant les gouverneurs et présidents d’assemblées provinciales réunis à Kinshasa : la priorité absolue doit être donnée à la cohésion nationale face à l’agression rwandaise. Mais cette injonction ne masque-t-elle pas une volonté plus profonde de museler les contre-pouvoirs provinciaux ? La succession récente de destituations de gouverneurs et de présidents d’assemblées dans plusieurs provinces démontre pourtant l’urgence d’un rééquilibrage institutionnel.
« Force est de constater que les engagements pris pour assurer la stabilité des institutions provinciales n’ont pas été respectés », a déploré le ministre, pointant du doigt la multiplication des initiatives parlementaires parfois contraires aux règlements intérieurs. Cette analyse officielle mérite d’être nuancée : si certaines motions peuvent effectivement frôler l’illégalité, nombreuses sont celles qui répondent à une réelle demande de redevabilité de la part des populations.
L’exemple du Kasaï-Oriental est particulièrement édifiant. Le gouverneur Jean-Paul Mbwebwa, pourtant réhabilité par la Cour constitutionnelle après sa destitution en mai, fait à nouveau l’objet d’une motion de défiance pour gestion opaque présumée. Dans la Tshopo, les accusations de mégestion, d’incompétence et de détournement de deniers publics ayant conduit à la déchéance du gouverneur Paulin Lendongolia illustrent la nécessité d’un contrôle parlementaire vigilant.
Le gouvernement argue de la guerre pour justifier cette suspension des motions parlementaires en RDC, mais ne risque-t-il pas ainsi de jeter le bébé avec l’eau du bain ? La transparence dans la gestion des ressources et la concertation permanente entre exécutif et législatif provincial, pourtant érigées en principes cardinaux par M. Shabani, nécessitent justement l’existence de mécanismes de contrôle efficaces.
La référence aux articles 197 et 198 de la Constitution, brandie comme une épée de Damoclès, interroge sur la nature réelle des « mesures nécessaires » que le gouvernement entend prendre. S’agit-il de restaurer l’autorité de l’État ou d’instaurer un régime d’exception sous couvert de circonstances exceptionnelles ? La frontière est ténue entre la préservation de la cohésion nationale et l’étouffement des débats démocratiques.
Dans les provinces du Kongo-Central, du Maniema, du Kwango et du Haut-Lomami, où plusieurs présidents d’assemblées ont été évincés suite à des pétitions, la question de la stabilité des institutions provinciales se pose avec acuité. Mais la solution passe-t-elle nécessairement par la restriction des prérogatives parlementaires ? L’histoire récente de la RDC nous enseigne plutôt que l’absence de contre-pouvoirs effectifs conduit immanquablement à des dérives autoritaires.
Le gouvernement joue donc un pari risqué en cherchant à museler les assemblées provinciales au nom de l’unité nationale. Si cette stratégie peut apporter un calme temporaire, elle risque à moyen terme d’exacerber les frustrations et de miner la légitimité des institutions locales. La recherche de la stabilité politique ne saurait se faire au détriment des principes démocratiques qui fondent la République.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
