Dans la pénombre feutrée du Musée national de Kinshasa, les fantômes du passé congolais reprennent vie. Le président Félix Tshisekedi s’avance, mardi, entre les vitrines illuminées comme un navigateur redécouvrant une terre oubliée. Sous ses yeux défilent trente-deux ans d’histoire nationale, trente-deux ans de règne mobutiste qui semblent soudain se dévoiler sous un jour nouveau.
Que reste-t-il de Mobutu Sese Seko dans la mémoire collective congolaise ? L’exposition « Mobutu : une vie, un destin » tente précisément de répondre à cette question lancinante. Organisée par la famille de l’ancien maréchal-président, elle déploie un kaléidoscope d’archives rares où photographies jaunies et objets personnels dialoguent avec les grandes heures du Zaïre. Le visiteur chemine entre l’habit d’apparat et la canne sculptée, entre les discours officiels et les instants d’intimité familiale, comme si le temps avait suspendu son vol.
« Symbole de l’union nationale, de l’affirmation de la souveraineté et de la valorisation des racines culturelles authentiques du Congo » : ainsi le chef de l’état actuel qualifie-t-il son prédécesseur. Les mots de Félix Tshisekedi résonnent étrangement dans ce sanctuaire de la mémoire. Accompagné de Nzanga Mobutu Ngbangaye, fils du défunt, le président parcourt les salles d’exposition Mobutu Kinshasa avec une gravité presque recueillie. Chaque vitrine devient une page tournée du livre d’histoire Congo Zaïre, chaque objet un fragment de cette épopée controversée.
L’hommage Tshisekedi Mobutu prend alors des allures de geste politique autant que mémoriel. En signant le livre d’or, le président congolais inscrit sa propre trace dans cette relecture du patrimoine culturel congolais. « À travers cette exposition émouvante, la Nation congolaise redécouvre un chapitre méconnu de son histoire », écrit-il. La phrase semble vouloir apaiser les blessures encore vives, proposer une grille de lecture plus nuancée de ce qui fut autant une dictature qu’une tentative d’affirmation identitaire.
Du 16 au 30 octobre, le Musée national Kinshasa devient ainsi le théâtre d’une réconciliation inattendue avec le passé. Les organisateurs l’affirment : il s’agit de « montrer une autre facette » du maréchal, au-delà de l’image du dictateur souvent associée à son régime. Les photographies le montrent tour à tour en chef traditionnel et en homme d’état moderne, en père de famille et en guide suprême. Cette exposition Mobutu Kinshasa ne cache pas les ombres, mais choisit d’éclairer certaines lumières.
Comment, dès lors, interpréter cette réhabilitation partielle ? Faut-il y voir une simple opération de communication ou l’amorce d’un véritable travail de mémoire sur l’histoire Congo Zaïre ? Le parcours scénographique lui-même suggère des réponses complexes. Les salles thématiques alternent entre la grandeur des cérémonies officielles et la simplicité des moments privés, entre le faste du pouvoir et les traces du quotidien. Le visiteur est invité à dépasser les jugements manichéens pour embrasser la complexité d’une époque.
L’hommage Tshisekedi Mobutu s’inscrit dans une temporalité plus longue, celle de la construction nationale. En reconnaissant la part mobutiste du patrimoine culturel congolais, le président actuel semble vouloir réconcilier les mémoires divisées. Le Musée national Kinshasa devient le cadre de cette catharsis collective, où les générations se croisent et où les interprétations de l’histoire se confrontent.
Que restera-t-il de cette exposition dans la conscience nationale ? Sans doute une invitation à regarder le passé sans complaisance mais sans anathème, à comprendre que l’histoire Congo Zaïre est un tissu complexe où s’entremêlent ombres et lumières. En revisitant la figure de Mobutu, c’est finalement toute la trajectoire congolaise que l’on interroge, des indépendances à nos jours, des rêves de grandeur aux désillusions collectives.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
