La légende musicale congolaise traverse aujourd’hui une crise mémorielle sans précédent. Avec la disparition successive de Jean Bélis Mfumu, Nico Buakongo et Kis Kisolokele, c’est toute la mémoire vivante du clan Wenge qui semble s’évaporer dans les brumes du temps. Ces gardiens discrets de l’histoire emportent avec eux les secrets des débuts, ces répétitions de fortune dans les ruelles de Bandalungwa où naquit un mythe.
Qui détient désormais la véritable version de cette épopée musicale ? La question résonne avec une intensité particulière dans le paysage culturel congolais. Les souvenirs s’estompent, les témoignages se contredisent, et l’histoire du clan Wenge devient progressivement un terrain de bataille symbolique où s’affrontent récits arrangés et ambitions personnelles.
Retour aux sources : en 1981, un jeune visionnaire du nom de Didier Masela réunit autour de lui une bande d’adolescents passionnés. Inspiré par la rumba traditionnelle et les innovations de Victoria Eleison, ce collectif de quartier allait révolutionner la musique congolaise. Les harmonies vocales inédites, la guitare rythmique fluide et les textes de jeunesse deviennent la signature de ce qui s’appellera bientôt Wenge Musica.
Le fondateur Didier Masela, souvent décrit comme l’âme et le père spirituel du mouvement, portait une vision claire : créer une fraternité artistique basée sur la créativité et l’unité. Mais au fil des années, cette belle utopie va se heurter à la dure réalité des egos et des ambitions. Le groupe, devenu une véritable école de stars, voit émerger des talents comme Werrason, JB Mpiana et toute une constellation d’artistes qui vont porter le nom Wenge aux nues.
La grande fracture de 1997 reste un moment traumatique dans la mémoire collective. La scission donne naissance à deux entités majeures : Wenge BCBG et Wenge Musica Maison Mère. Cette séparation légendaire marque le point de non-retour d’une unité déjà fragilisée par les tensions internes. Avant cette rupture, Didier Masela et Adolphe Dominguez tentaient encore de préserver l’esprit originel, en vain.
Aujourd’hui, avec la disparition des témoins clés, la vérité historique se dilue dans une mer de versions contradictoires. Chaque ancien membre, selon sa place dans l’épopée, revendique sa part de paternité ou minimise celle des autres. Les interviews se multiplient, les récits divergent, et les jeunes générations ne savent plus distinguer le mythe de la réalité.
La mémoire collective du clan Wenge est sérieusement menacée. Sans récit commun, sans document d’archives rigoureux, cette page essentielle de la culture musicale congolaise risque de se perdre à jamais. Pourtant, près de 95% des soldats de première heure de Didier Masela sont toujours vivants. Ne pourraient-ils pas se reunir pour établir une version consensuelle de cette extraordinaire aventure ?
Le rôle de Didier Masela comme fondateur incontestable de Wenge Musica mérite d’être reconnu et préservé. Mais cette reconnaissance ne doit pas effacer la contribution des autres pionniers. Wenge, dans son essence même, représente une constellation de talents, un mouvement collectif qui a transformé durablement le paysage musical congolais.
Plus de quarante ans après sa création, l’heure n’est-elle pas venue de réconcilier les mémoires ? Au-delà des querelles et des divisions, Wenge Musica reste le symbole d’une jeunesse audacieuse, d’une créativité débordante et d’un rêve d’unité artistique qui continue d’inspirer les générations actuelles.
La parole de Didier Masela, souvent marginalisée par ses propres disciples, mérite d’être entendue non comme une revanche, mais comme un devoir de mémoire envers toute une génération qui a fait vibrer le continent africain et sa diaspora. Qui croira encore à la version du fondateur ? La réponse appartient désormais à l’histoire et à la postérité.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc
