Dans un contexte politique congolais marqué par des tensions persistantes autour des institutions, une initiative citoyenne émerge avec l’ambition de redéfinir les fondements constitutionnels du pays. Le lancement du « Front pour la Quatrième République » ce lundi 27 octobre à Kinshasa pourrait-il constituer le ferment d’une transformation profonde du paysage institutionnel congolais ? Cette dynamique de réflexion, portée par des activistes déterminés, s’attaque directement aux textes fondamentaux qui régissent la nation, affirmant vouloir tracer la voie vers un développement durable.
Dady Tshisuaka, l’un des membres les plus vocaux de ce mouvement, expose sans détour la philosophie qui sous-tend cette démarche. Selon ses déclarations exclusives à Radio Okapi, l’objectif dépasse la simple modification constitutionnelle pour embrasser une transformation complète des mentalités et des pratiques. « Cette démarche vise à amener les Congolais à évoluer sur les plans comportemental, culturel, social, économique et politique », affirme-t-il, dessinant les contours d’un projet de société aux ambitions totalisantes.
La stratégie déployée par ces activistes congolais repose sur un levier juridique méconnu mais potentiellement déstabilisateur pour l’establishment politique : l’article 218 de la Constitution. Ce texte, rarement invoqué dans l’histoire politique récente, ouvre la possibilité d’une révision constitutionnelle initiée par le peuple lui-même. Les promoteurs du Front Quatrième République entendent récolter « plus d’un million de signatures » pour forcer le passage de la Troisième à la Quatrième République, un objectif qui, s’il était atteint, représenterait un séisme politique sans précédent.
Mais quelle est la véritable nature de cette revendication ? Simple manœuvre citoyenne ou prélude à une recomposition du champ politique ? Dady Tshisuaka s’en défend vigoureusement : « Notre initiative n’est pas politique, mais plutôt citoyenne ». Cette affirmation mérite pourtant d’être interrogée à l’aune des implications profondes d’une telle révision constitutionnelle. Le discours officiel met en avant la volonté de « redonner le pouvoir au souverain primaire » et d’instaurer des « mécanismes de contrôle citoyen », mais ne s’agit-il pas là d’une remise en cause implicite du fonctionnement actuel des institutions ?
La critique des textes en vigueur porte essentiellement sur leur inadéquation supposée avec les réalités congolaises. « Le pays est régi par des textes qui ne reflètent ni les mœurs, ni les coutumes, ni les aspirations profondes du peuple congolais », martèle Tshisuaka. Cette accusation, si elle venait à être largement partagée, pourrait saper la légitimité même de l’ordre constitutionnel actuel. Le développement du pays serait ainsi freiné par des dispositions inadaptées, créant un décalage croissant entre la norme écrite et les pratiques sociales effectives.
La pétition pour le changement constitutionnel représente donc l’instrument principal de cette bataille politique d’un nouveau genre. En visant la collecte de 100 000 signatures – seuil minimal requis par l’article 218 – mais en affichant l’ambition d’en réunir dix fois plus, les activistes du Front Quatrième République jouent habilement sur plusieurs tableaux. D’un côté, ils respectent scrupuleusement le cadre légal, se présentant en défenseurs de la Constitution qu’ils entendent pourtant modifier. De l’autre, ils construisent une base populaire susceptible de peser dans le débat public.
Quelles pourraient être les conséquences politiques d’une telle initiative ? Le gouvernement et le Parlement se retrouvent dans une position délicate : soit ils ignorent cette mobilisation citoyenne au risque de paraître sourds aux aspirations populaires, soit ils s’en emparent et ouvrent une boîte de Pandore constitutionnelle. La révision des textes fondamentaux n’est jamais un exercice anodin, particulièrement dans un contexte où les équilibres politiques restent précaires.
La référence explicite à une « Quatrième République » n’est pas non plus neutre sur le plan symbolique. Elle suggère une rupture avec l’ordre actuel, perçu comme insuffisant ou inadapté. Cette terminologie renvoie implicitement à l’histoire constitutionnelle mouvementée de la RDC, marquée par des transitions souvent difficiles entre différentes républiques. Les promoteurs de cette réforme entendent-ils réellement tourner la page de la Troisième République, ou s’agit-il davantage d’un slogan mobilisateur ?
L’avenir de cette initiative citoyenne dépendra largement de sa capacité à fédérer au-delà des cercles militants habituels. La récolte des signatures, tant au niveau national qu’auprès de la diaspora congolaise, constituera le premier test concret de son ancrage populaire. Mais au-delà de l’aspect quantitatif, c’est la qualité du débat constitutionnel qui s’annonce qui déterminera l’impact réel de cette démarche. La question fondamentale reste : une modification de la Constitution suffira-t-elle à résoudre les défis multiples auxquels fait face la RDC, ou ne s’agit-il que d’un préalable nécessaire à des réformes plus profondes ?
Les prochains mois s’annoncent déterminants pour le Front Quatrième République et pour l’ensemble de la classe politique congolaise. La réussite ou l’échec de cette pétition pour le changement constitutionnel pourrait reconfigurer durablement les rapports de force et les dynamiques institutionnelles. Une chose est certaine : le débat sur l’adaptation des textes fondamentaux aux réalités congolaises est désormais ouvert, et il promet d’animer intensément la scène politique dans les mois à venir.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net
