Dans le groupement Ihana du territoire de Walikale, au Nord-Kivu, le silence qui règne à Kibua est plus lourd que les cris. Ici, des centaines de familles déplacées survivent dans des conditions qui défient l’humanité. Comment en est-on arrivé à cette situation où des êtres humains doivent choisir entre la faim et la maladie ?
Emmanuel Misuba, vice-président de la société civile de Kibua, nous reçoit dans un local aux murs nus. Son regard trahit l’épuisement. « Ces familles ont tout perdu en fuyant les violences armées. Aujourd’hui, elles manquent de tout : nourriture, soins médicaux, abris décents. L’hôpital général de Kibua a été systématiquement pillé par les éléments du M23, laissant la population sans aucune structure de santé fonctionnelle », témoigne-t-il, la voix chargée d’une colère contenue.
La crise humanitaire à Kibua prend des proportions alarmantes. Les déplacés internes, venant principalement de Pinga, Mungazi et Kashebere, ont trouvé refuge dans ce village déjà éprouvé. Mais comment une communauté fragilisée peut-elle absorber un tel afflux de personnes dans le besoin ? Les familles d’accueil, elles-mêmes sorties à peine de semaines passées dans la brousse après le passage du M23, partagent maintenant le peu qu’elles possèdent.
La cohabitation forcée crée des tensions invisibles mais bien réelles. Les ressources limitées de Kibua s’épuisent rapidement. L’eau potable devient rare, la nourriture se fait parcimonieuse, et l’absence de structures médicales transforme les maladies bénignes en condamnations. « Nous assistons à une double peine pour ces populations », analyse un observateur local. « D’abord victimes des violences M23, elles deviennent maintenant victimes de l’oubli humanitaire ».
La situation à Pinga et dans les autres villages contrôlés par l’AFC/M23 continue de générer des vagues successives de déplacés vers Kibua. Chaque jour apporte son lot de nouveaux arrivants, épuisés, traumatisés, souvent blessés. Le territoire de Walikale devient ainsi le théâtre silencieux d’une crise humanitaire qui s’aggrave dans l’indifférence générale.
Face à cette urgence, la société civile de Kibua lance un appel pathétique. « Nous avons besoin d’une assistance humanitaire immédiate : nourriture, médicaments, abris. Sans une intervention rapide des autorités locales, provinciales et des partenaires humanitaires, nous risquons de voir une catastrophe sanitaire s’ajouter à la crise sécuritaire », alerte Emmanuel Misuba.
Mais pourquoi l’aide tarde-t-elle à arriver ? Les défis logistiques dans cette région du Nord-Kivu, combinés à l’insécurité persistante, complexifient l’acheminement de l’assistance. Pendant ce temps, à Kibua, des enfants meurent de maladies évitables, des femmes accouchent sans assistance médicale, des familles entières dorment à la belle étoile.
La crise des déplacés à Kibua symbolise l’engrenage infernal qui frappe le Nord-Kivu : violence armée, déplacement massif des populations, effondrement des services de base, et réponse humanitaire insuffisante. Derrière les statistiques et les rapports, ce sont des vies humaines qui se brisent, des rêves qui s’effondrent, un avenir qui s’assombrit.
La solidarité des familles d’accueil de Kibua, malgré leur propre précarité, offre une lueur d’espoir dans ce tableau sombre. Mais cette solidarité naturelle atteint ses limites. Jusqu’à quand pourront-elles continuer à partanger leur maigre pitance ? Combien de temps avant que la cohabitation ne génère des conflits ouverts ?
La situation exige une réponse coordonnée et massive. L’assistance humanitaire au Nord-Kivu doit prioriser des zones oubliées comme Kibua, où la détresse humaine atteint des niveaux critiques. Les déplacés de Kibua ne demandent pas la lune – simplement de pouvoir survivre dans la dignité, en attendant des jours meilleurs.
Alors que le soleil se couche sur Kibua, une question demeure : combien de vies faudra-t-il perdre avant que la communauté internationale ne se réveille face à cette crise humanitaire qui mine le territoire de Walikale ? La réponse, tragiquement, semble se trouver dans le silence des nuits congolaises.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
