Entre les murs de l’Institut Français de Kinshasa, une respiration nouvelle agite l’air saturé de la capitale. L’exposition « Kin Kiese, ville créative » déploie ses ailes, tel un phénix surgi des réalités urbaines les plus complexes. Après avoir traversé le Bénin, la France et le Burkina Faso, cette étape congolaise de la Kinshasa Design Week révèle une vérité longtemps murmurée : le design n’est plus ici un luxe importé, mais une langue maternelle qui se réinvente.
Comment une ville aux défis multiples peut-elle devenir le berceau d’une créativité aussi foisonnante ? La réponse se niche dans les interstices, dans ces espaces où l’ingéniosité congolaise transforme les contraintes en tremplins artistiques. Une dizaine d’artistes, choisis avec soin, démontrent que le design peut être bien plus qu’une esthétique – il devient solution, langage, outil de transformation sociale.
Tankila, designer et initiateur du projet, nous livre sa vision : « Le travail dans ce Kindeswe tour avec le projet Kin kiese ville créative, c’est d’une certaine manière inaugurer une école. C’est déconstruire ce mot Design, c’est le voir à notre sauce. » Cette déconstruction prend des formes multiples, où les médiums s’entrechoquent pour donner naissance à un nouveau vocabulaire créatif.
Loin des vitrines aseptisées des galeries d’art conventionnelles, les œuvres exposées palpitent au rythme des artères de Kinshasa. Marcus Bila présente sa « toilette coup direct », réponse ingénieuse au défi sanitaire dans les zones périphériques de la capitale. Son œuvre transcende le statut d’objet d’exposition pour devenir promesse d’utilité concrète. « Ça ne peut pas rester qu’une pièce, elle peut servir dans bien des choses pour la population », confie l’artiste, dont la démarche incarne cette philosophie du design comme acte social.
Joyce Tshamala, quant à lui, opère une métamorphose poétique des objets administratifs. Classeurs, fardes et dossiers abandonnent leur fonction première pour devenir supports picturaux. Sa série « Hors d’usage » déploie des silhouettes sur des classeurs ouverts, symboles d’une société congolaise en quête de nouvelles narrations. « Le classeur tel qu’on le connaît se présente de façon fermée pour conserver des dossiers. Moi, je peins des personnages sur des classeurs ouverts », explique-t-il, avant d’ajouter : « L’idée est vraiment que l’œuvre puisse avoir un impact sur ma société. »
Au-delà de l’exposition, la Kinshasa Design Week déploie son écosystème formateur. Des masterclass transforment les créateurs en entrepreneurs, leur offrant les armes pour naviguer dans les eaux complexes du monde de l’art. Marcus Bila et Zachée Bozo témoignent de cette dimension pédagogique qui dépasse la technique pure pour embrasser la gestion de carrière, la planification et la professionnalisation.
Quelle portée peut avoir un tel événement dans le paysage culturel congolais ? La réponse se dessine dans les ambitions affichées : bâtir un véritable écosystème du design en République Démocratique du Congo. Soutenu par l’Institut français, l’Union européenne et divers partenaires africains et européens, le Kindeswe Tour 2025 se positionne comme un plaidoyer pour le design africain comme moteur de développement culturel et économique.
Jusqu’au 31 octobre, Kinshasa vibre au rythme de cette effervescence créative. Le Critik Talk du 30 octobre promet des échanges riches entre artistes, artisans, journalistes et penseurs, tous unis autour d’une question fondamentale : quel rôle le design peut-il jouer dans la société congolaise contemporaine ?
Dans cette alchimie entre tradition et modernité, entre contraintes et innovations, la Kinshasa Design Week tisse la toile d’une renaissance créative. Elle redéfinit les contours d’un design résolument africain, ancré dans les réalités locales tout en dialoguant avec le monde. Et si la véritable révolution congolaise se jouait dans ces espaces où l’art rencontre le quotidien, où la créativité devient acte de résistance et d’espoir ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd
