Le gouvernement provincial du Kasaï Oriental joue désormais la carte de la fermeté face à ce qu’il considère comme une dérive du pouvoir coutumier. L’ultimatum de quinze jours adressé aux chefs traditionnels résidant à Mbuji-Mayi pourrait bien constituer un tournant décisif dans la reconfiguration des rapports entre autorités administratives et autorités traditionnelles. Cette décision, prise sur ordre direct du gouverneur, révèle une volonté politique affirmée de reprendre le contrôle d’une institution coutumière dont l’influence dépasse souvent le cadre purement traditionnel.
La mesure, annoncée par Patrick Mukendi Makanda, ministre provincial de l’Intérieur, des affaires coutumières et de la décentralisation, ne se contente pas d’un simple rappel à l’ordre. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large de restructuration du paysage coutumier provincial. Le ministre n’a pas mâché ses mots en dénonçant la prolifération de « faux chefs » arborant des insignes sans légitimité, créant ainsi un climat de confusion préjudiciable à la cohésion sociale. Cette situation, selon lui, atteint son paroxysme lors des cérémonies officielles où la multiplication des prétendants au pouvoir traditionnel nuit à la crédibilité des institutions.
Mais au-delà de l’affichage d’autorité, cette initiative soulève des questions fondamentales sur l’évolution du pouvoir coutumier dans le Kasaï Oriental contemporain. Comment expliquer cette concentration de chefs traditionnels en milieu urbain ? S’agit-il d’une fuite des responsabilités ou d’une adaptation aux réalités socio-économiques modernes ? La réponse des autorités provinciales semble tranchée : le véritable chef traditionnel doit résider parmi sa population, gérer les us et coutumes sur le terrain, et servir de pilier à la cohésion sociale locale.
L’opération d’identification annoncée, avec la délivrance de cartes et macarons officiels, représente l’autre volet de cette stratégie d’assainissement. Cette démarche de certification des chefs légitimes vise à créer une distinction claire entre les détenteurs authentiques du pouvoir coutumier et les imposteurs. Reste à savoir si cette bureaucratisation du statut traditionnel ne risque pas de heurter la nature même de légitimité coutumière, souvent basée sur des critères bien plus complexes que la simple détention d’un document officiel.
Cette offensive des autorités provinciales traduit une reconnaissance implicite du rôle crucial que jouent les chefs traditionnels dans la stabilité locale. En cherchant à « valoriser le rôle des véritables chefs traditionnels », le gouvernement provincial admet que le pouvoir coutumier constitue un maillon essentiel de la gouvernance territoriale. La question qui se pose désormais est de savoir si cette réforme imposée par le haut parviendra à créer l’adhésion nécessaire à sa réussite.
Les prochaines semaines seront déterminantes pour évaluer l’impact réel de cet ultimatum. Le retour effectif des chefs dans leurs entités coutumières permettra-t-il véritablement de renforcer la cohésion sociale et prévenir les troubles locaux ? Ou assistera-t-on à une résistance passive d’une institution coutumière qui a su, à travers les siècles, développer ses propres mécanismes d’adaptation au changement ? La réponse se jouera autant dans les bureaux administratifs de Mbuji-Mayi que dans les villages reculés de la province.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net