L’espace aérien congolais serait-il devenu le théâtre privilégié du règlement de comptes politique ? La question se pose avec acuité après l’interpellation musclée de Seth Kikuni, samedi dernier, à l’aéroport international de Ndjili. Cet opposant notoire, qui venait de participer au conclave « Sauvons la RDC » à Nairobi, a vu son retour au pays transformé en parcours du combattant digne des meilleurs scénarios policiers.
Que cache cette interception systématique des voix discordantes aux portes de la nation ? Les faits sont troublants : confiscation immédiate du passeport par les services de la Direction Générale de Migration, intervention d’agents se réclamant de l’Agence Nationale de Renseignements et de la DEMIAP, puis disparition pure et simple du principal intéressé. Le mode opératoire, rodé par l’usage, interroge sur l’état de nos institutions républicaines.
Le message prémonitoire posté par Kikuni sur son compte X la veille de son vol prend aujourd’hui une résonance particulière : « Objectif du week-end : rentrer au pays et traverser la vallée de l’ombre de la mort sans rien craindre. » L’opposant avait-il pressenti les embûches qui l’attendaient ? Cette prescience n’est-elle pas le symptôme d’un climat politique délétère où chaque retour au bercail devient une épreuve de survie ?
Le timing de cette interpellation ne doit rien au hasard. Le rassemblement de Nairobi, placé sous le patronage de l’ancien chef de l’État Joseph Kabila et réunissant des figures de l’opposition comme Matata Ponyo et Raymond Tshibanda, avait vivement dénoncé la « crise multiforme » que traverse la RDC. En s’attaquant à l’un des participants les plus médiatiques, le pouvoir envoie un signal clair à l’ensemble de la mouvance contestataire.
Le parcours judiciaire de Seth Kikuni ajoute une couche supplémentaire à cette affaire. Libéré de la prison de Makala le 1ᵉʳ mars 2025 après six mois de détention, l’ancien candidat à la présidentielle de 2018 avait été condamné en septembre 2024 pour « incitation à la désobéissance civile » et « propagation de faux bruits ». Cette nouvelle interpellation soulève des questions fondamentales sur l’indépendance de la justice et la liberté d’expression dans notre jeune démocratie.
Le silence des autorités congolaises et des services de sécurité, près de quarante-huit heures après les faits, est en soi une réponse éloquente. Cette absence de communication officielle contraste singulièrement avec la célérité déployée pour procéder à l’arrestation. Faut-il y voir la confirmation que certaines pratiques échappent au cadre légal ?
L’affaire Seth Kikuni dépasse largement le cas individuel pour poser la question du traitement réservé à l’opposition politique en République Démocratique du Congo. Les aéroports deviennent-ils des zones de non-droit où les garanties constitutionnelles s’évaporent ? La valse des services de sécurité – ANR, DGM, DEMIAP – témoigne-t-elle d’une coordination étatique ou au contraire de rivalités bureaucratiques préjudiciables aux droits des citoyens ?
Alors que la communauté internationale observe avec attention l’évolution politique de la RDC, ces méthodes expéditives risquent de compromettre les efforts de réconciliation nationale. Le prochain test sera la réaction des instances régionales et la capacité du gouvernement à fournir des explications transparentes sur le sort réservé à Seth Kikuni. L’ombre de Makala plane-t-elle à nouveau sur l’opposant ? La balle est désormais dans le camp des autorités, qui devront assumer leurs actes devant l’opinion nationale et internationale.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd