La récente appréciation du franc congolais face au dollar américain, observée dans la ville de Beni au Nord-Kivu, soulève d’importantes questions économiques alors que cette embellie monétaire ne se traduit pas par une baisse des prix des produits de première nécessité. Le taux de change est passé de 2 800 à 2 300 francs congolais pour un dollar, une évolution qui, en théorie, devrait renforcer le pouvoir d’achat des populations. Pourtant, sur le terrain, la réalité demeure alarmante.
Comment expliquer cette dissonance entre la performance monétaire et la situation économique réelle des ménages ? Les marchés de Beni présentent un paradoxe saisissant : alors que les commerçants affichent désormais leurs prix en francs congolais plutôt qu’en dollars américains, les étiquettes restent inchangées. Un kilogramme de viande qui se vendait entre 15 000 et 18 000 FC lorsque le dollar valait 28 000 à 29 000 FC maintient obstinément le même prix malgré la dépréciation de la devise américaine.
Cette situation illustre un phénomène économique complexe où la transmission des variations de change aux prix à la consommation fonctionne à sens unique. Lorsque le dollar s’apprécie, les commerçants ajustent immédiatement leurs prix à la hausse. En revanche, quand la monnaie nationale se renforce, la baisse tarde à se matérialiser, créant ainsi une asymétrie préjudiciable aux consommateurs.
Le pouvoir d’achat des habitants de Beni subit une érosion continue dans un contexte déjà marqué par l’insécurité persistante dans la région du Nord-Kivu. Les ménages, déjà fragilisés par des années de conflits, voient leur capacité à satisfaire leurs besoins fondamentaux se détériorer davantage. Cette stagnation des prix malgré l’appréciation du franc congolais équivaut à une hausse réelle des coûts pour des populations dont les revenus n’ont pas augmenté.
Face à cette crise du pouvoir d’achat, les autorités locales sont intervenues. Le commissaire supérieur principal Jacob Nyofondo-te-Kodale a rappelé mercredi aux opérateurs économiques l’obligation de respecter le taux de change officiel fixé par la Banque centrale du Congo. Cette mesure s’accompagne d’une interdiction stricte des taux parallèles et d’une exigence d’affichage clair des prix en francs congolais dans tous les points de vente.
Mais pourquoi les mécanismes de marché ne fonctionnent-ils pas naturellement en faveur des consommateurs ? Plusieurs facteurs expliquent cette rigidité des prix à la baisse. D’abord, les stocks achetés précédemment à des taux de change moins favorables continuent d’influencer la structure des coûts. Ensuite, l’incertitude quant à la durabilité de cette appréciation du franc congolais pousse les commerçants à la prudence.
L’économie du Nord-Kivu, et particulièrement de Beni, reste tributaire de multiples facteurs structurels. L’insécurité chronique perturbe les chaînes d’approvisionnement, augmentant les coûts de transport et de transaction. La dépendance aux importations pour de nombreux produits manufacturés maintient une pression sur les prix, même lorsque la monnaie nationale se renforce.
La situation actuelle à Beni soulève des questions fondamentales sur l’efficacité des politiques monétaires dans un contexte d’économie informelle prédominante. Le taux de change dollar franc congolais, bien qu’important, ne représente qu’un élément dans une équation économique bien plus complexe. L’absence de régulation effective des marchés et la faible concurrence dans certains secteurs contribuent à maintenir des prix artificiellement élevés.
Quelles perspectives pour l’économie de Beni et du Nord-Kivu ? La stabilisation monétaire pourrait, à moyen terme, produire ses effets bénéfiques si elle s’accompagne de mesures structurelles renforçant la transparence des marchés et la concurrence. La vigilance des autorités sur le respect du taux de change officiel constitue un premier pas nécessaire, mais insuffisant.
L’enjeu dépasse la simple question du taux de change dollar franc congolais. Il s’agit de reconstruire la confiance dans l’économie locale, d’assurer la sécurité des approvisionnements et de développer des circuits commerciaux résilients. La résolution de l’équation entre appréciation monétaire et pouvoir d’achat à Beni passera par une approche globale, intégrant tant les aspects monétaires que les réalités sécuritaires et structurelles de la région.
Article Ecrit par Amissi G
Source: radiookapi.net