Le marché des changes parallèle à Kinshasa présente un visage complexe où les cambistes défendent farouchement leurs positions face aux accusations récurrentes de spéculation. Une enquête de terrain révèle les mécanismes sous-jacents qui régissent ce secteur économique sensible, entre survie quotidienne et adaptation aux fluctuations monétaires officielles.
Comment fonctionne réellement ce marché des devises qui anime les artères commerciales de la capitale congolaise ? Les changeurs de monnaie rencontrés à travers plusieurs points stratégiques – de Kintambo-Magasin à Ngiri-Ngiri, en passant par le rond-point Huilerie à Lingwala et Petro-Congo à Masina – dressent un tableau nuancé de leurs activités. Loin des accusations simplistes, ils décrivent un équilibre précaire entre nécessité de réaliser des bénéfices et adaptation aux directives de la Banque centrale du Congo.
Francis Kayembe, cambiste à la place Kintambo-Magasin, expose la réalité du terrain : « Hier soir, la BCC était à 21 500 FC, et ce matin, on nous informe que la BCC est à 21 000 FC. Nous travaillons avec prudence, car nous ne pouvons pas travailler à perte ». Cette déclaration souligne la volatilité des taux de change et la nécessité pour ces acteurs économiques de constamment s’ajuster aux fluctuations décidées par l’institution monétaire.
Le marché parallèle des devises en RDC fonctionne selon une hiérarchie bien établie. Roland, cambiste du rond-point Huilerie, détaille cette structure : « À la BCC, le taux appliqué est de 23 000 FC, et les grossistes se ravitaillent directement à la BCC. Donc, eux ne peuvent pas afficher 23 000 FC comme le fait la BCC ; ils vont réduire à 22 000 FC pour bénéficier de 1 000 FC. Nous, les détaillants, ne pouvons pas aller à la BCC. Je me ravitaille auprès des grossistes qui me vendent à 22 000 FC, et je ne peux pas vendre à ce même prix ».
Cette cascade de marges bénéficiaires explique en partie les écarts observés entre le taux officiel de la Banque centrale du Congo et ceux pratiqués par les changeurs de monnaie dans les différents quartiers de Kinshasa. La situation crée un marché à plusieurs vitesses où chaque intervenant cherche à préserver sa rentabilité tout en restant compétitif.
Dans son communiqué officiel, la Banque centrale du Congo précise que « les transactions de change sont traitées de gré à gré, selon les cours déterminés par le jeu de l’offre et de la demande ». Cette position institutionnelle reconnaît implicitement les mécanismes du marché tout en maintenant un cadre réglementaire qui peine à contenir les réalités économiques quotidiennes.
Les cambistes kinois se présentent ainsi comme des acteurs économiques essentiels, facilitant les transactions quotidiennes des populations tout en naviguant dans un environnement monétaire instable. Leur marge bénéficiaire, souvent décriée, représenterait selon eux la juste rémunération d’un service rendu dans un contexte de risque permanent.
Quelles perspectives pour ce secteur crucial de l’économie informelle congolaise ? L’évolution des taux de change BCC continuera certainement de dicter le rythme des activités des changeurs de monnaie. La spéculation sur les taux de change, bien que régulièrement dénoncée, semble indissociable d’un marché où l’information est asymétrique et les acteurs multiples.
Le marché parallèle des devises à Kinshasa demeure ainsi un baromètre économique sensible, reflétant à la fois les politiques monétaires officielles et les réalités du terrain. Entre régulation et adaptation, les cambistes continuent leur travail d’intermédiaires indispensables, dans l’attente d’une stabilisation durable des conditions économiques nationales.
Article Ecrit par Amissi G
Source: radiookapi.net