Onze années se sont écoulées depuis la première attaque sanglante des Forces démocratiques alliées à Beni, mais la douleur reste vive. Ce mercredi 15 octobre 2025, la population du Nord-Kivu a commémoré avec émotion l’anniversaire des massacres qui ont durablement marqué la région. Le cimetière de Masiani, où reposent les victimes de cette nuit tragique du 15 octobre 2014, a été le théâtre de recueillements et de travaux d’assainissement.
Comment une telle tragédie peut-elle rester impunie après plus d’une décennie ? Cette question hante les survivants et les familles des défunts. Kasereka Mupika, rescapé de l’attaque initiale, témoigne avec une douleur palpable : « Ce jour-là, plusieurs de nos proches ont été tués. Moi, j’ai perdu ma femme, mon frère et ma tante. J’ai moi-même été blessé par balle et je suis devenu handicapé. » Sa voix porte l’écho de centaines d’autres victimes directes et indirectes des violences ADF.
L’ampleur réelle du drame reste difficile à établir avec précision. Les attaques ADF à Beni et dans les territoires voisins ont généré un nombre indéterminé de victimes. Maître Paulin Muliro, avocat conseil des victimes, souligne l’urgence d’un recensement exhaustif : « Personne ne détient le chiffre exact des victimes. Nous appelons à une collaboration entre acteurs pour constituer une base de données unique. » Son programme d’identification, lancé depuis près d’un an, rencontre des obstacles multiples dans sa mise en œuvre.
La zone d’influence des ADF n’a cessé de s’étendre au fil des années. Initialement concentrées dans le « triangle de la mort » regroupant Eringeti, Watalinga et Beni, les violences se sont propagées vers le territoire de Lubero, la province de l’Ituri et certaines parties de la Tshopo. Cette expansion territoriale soulève des interrogations sur l’efficacité des mesures de sécurité déployées.
Où en est la justice pour les victimes des massacres ADF ? Malgré quelques procès organisés par la justice militaire contre des présumés membres des ADF ou leurs collaborateurs, l’insatisfaction demeure générale. Les verdicts rendus semblent insuffisants aux yeux des familles touchées. Maître Muliro déplore : « Condamner les coupables, c’est bien, mais il faut aussi garantir la non-répétition. » Le Fonds national des réparations des victimes (Fonarev) aurait effectué des constats sur place, mais sans suites concrètes jusqu’à présent.
La société civile locale exprime son amertume face à ce qu’elle perçoit comme un désintérêt des autorités nationales. Maître Pépin Kavotha, président de la coordination urbaine de la société civile de Beni, constate amèrement : « La guerre des ADF semble complètement oubliée. Dans les discussions de Doha et ailleurs, on ne parle presque jamais des massacres de Beni. » Cette impression d’abandon ajoute une dimension supplémentaire à la souffrance des populations.
Les opérations militaires conjointes « Shujaa », menées par les FARDC et l’armée ougandaise (UPDF), n’ont pas réussi à mettre un terme définitif au cycle des violences. Les ADF, groupe armé d’origine ougandaise affilié à l’État islamique, continuent d’être accusés de massacres, d’enlèvements, de pillages et d’incendies dans les zones de Beni, Lubero et Ituri.
Onze ans après les premiers massacres, la quête de justice et de réparation pour les victimes ADF à Beni reste un combat quotidien. Les cérémonies de commémoration rappellent cruellement que le temps n’efface pas tout, surtout lorsque la vérité et la justice tardent à se manifester. La persistance des violences dans le Nord-Kivu interroge sur la capacité à rompre définitivement avec ce cycle infernal de massacres et d’impunité.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: mediacongo.net