Le grondement des motos-taxi se mêle au bruit inquiétant des plaques métalliques qui vibrent sous le poids des véhicules. Au cœur de la forêt tropicale du Nord-Kivu, le pont Mera enjambe la rivière Rubonga comme une cicatrice béante, rappel permanent des violences qui secouent la région. « Souvent nous voyageons même la nuit. Si on n’est pas prudent, on peut tomber dans ce trou et se retrouver dans l’eau », témoigne un chauffeur de moto-taxi, la voix empreinte d’une lassitude qui en dit long sur le quotidien des habitants.
Ce pont métallique, situé sur l’axe vital Walikale-Kibua, présente aujourd’hui un danger permanent pour les milliers d’usagers qui l’empruntent quotidiennement. Au milieu de l’ouvrage, un trou béant de plusieurs mètres de diamètre laisse entrevoir les eaux tumultueuses de la rivière en contrebas. Comment en est-on arrivé à cette situation critique où la sécurité des civils semble être devenue secondaire ?
Retour en mars dernier, lorsque l’avancée des rebelles de l’AFC/M23 vers Walikale centre a provoqué une escalade militaire. Dans le cadre des opérations de contrebatterie, l’armée congolaise a procédé à des raids aériens visant les positions rebelles à Kibua. C’est lors de ces bombardements qu’une bombe a touché le pont Mera, creusant cette ouverture dangereuse qui met aujourd’hui en péril la vie des voyageurs.
La stratégie militaire, bien que compréhensible dans un contexte de conflit, a engendré des conséquences humanitaires dramatiques pour les populations civiles. Les autorités locales sont-elles conscientes de l’urgence de la situation ? Les usagers de cette route provinciale Walikale-Goma vivent dans l’angoisse permanente. « Chaque traversée devient un supplice, surtout quand il fait nuit ou qu’il pleut », confie un habitant de Mera qui utilise régulièrement cette route pour ses activités commerciales.
La question de la sécurité routière au Nord-Kivu prend ici une dimension particulièrement aiguë. Ce pont Rubonga dangereux symbolise le dilemme entre nécessités militaires et protection des civils. Pendant combien de temps encore les populations devront-elles risquer leur vie pour se déplacer ? La solution temporaire proposée par les usagers – souder une plaque métallique sur la partie endommagée – semble pourtant à la portée des services techniques compétents.
L’infrastructure Nord-Kivu, déjà fragile, subit de plein fouet les conséquences des conflits armés. Le pont Mera endommagé n’est malheureusement qu’un exemple parmi tant d’autres dans cette région meurtrie par des années de violence. La route Walikale-Kibua, artère économique essentielle pour toute la province, voit son trafic considérablement ralenti par cette situation. Les transporteurs hésitent à emprunter cet axe, faisant grimper les prix des denrées et isolant davantage les communautés rurales.
Au-delà de la simple réparation technique, c’est toute la problématique de la reconstruction post-conflit qui se pose. Comment rebâtir lorsque la sécurité n’est pas totalement acquise ? Les autorités provinciales et nationales sont-elles prêtes à investir dans des infrastructures durables capables de résister aux aléas des conflits futurs ? La population, elle, attend des actes concrets et rapides. Elle ne comprend pas pourquoi, plusieurs mois après les faits, aucune mesure n’a été prise pour sécuriser ce passage vital.
La situation du pont Mera soulève des questions fondamentales sur la priorité donnée à la protection des civils dans les zones de conflit. Jusqu’où peut-on aller dans la destruction d’infrastructures essentielles au nom d’objectifs militaires ? Et surtout, quelle responsabilité incombe à l’État dans la réparation des dommages collatéraux subis par les populations ?
En attendant des solutions durables, les usagers continuent de jouer leur vie à chaque traversée, dans l’indifférence générale. Le trou au milieu du pont Mera devient ainsi le symbole des failles béantes dans la protection des civils au Nord-Kivu. Combien de vies devront encore être perdues avant que des mesures concrètes ne soient prises ? La réponse à cette question rhétorique pourrait bien déterminer l’avenir de toute une région.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd
