Dans le territoire de Nyunzu, à 200 kilomètres de Kalemie, une lueur d’espoir perce à travers les défis humanitaires. Depuis janvier dernier, le bureau de l’état civil a enregistré 9 719 enfants, un chiffre qui témoigne des efforts conjoints des autorités locales et de l’UNICEF RDC. Comment cette avancée est-elle possible dans une région marquée par des années de conflits intercommunautaires ?
Pierre Mwange, officier de l’état civil du territoire, ne cache pas sa satisfaction tout en restant lucide. « Les campagnes de sensibilisation portent leurs fruits, mais le chemin reste long », confie-t-il. Ce fonctionnaire dévoué souligne l’importance cruciale de l’enregistrement des enfants dans les 90 jours suivant la naissance, période pendant laquelle cette formalité est entièrement gratuite. Au-delà de ce délai, les parents doivent affronter les méandres administratifs d’un jugement supplétif, une procédure souvent décourageante pour des familles déjà vulnérables.
La réalité du terrain révèle cependant une autre facette préoccupante. Oscar Mumba, chef du service des Affaires sociales, alerte sur le sort de 9 874 enfants qui n’ont pas obtenu leurs actes de naissance dans les délais légaux. Cette situation trouve ses racines dans l’insécurité persistante qui frappe la région depuis 2013, avec les conflits récurrents entre communautés Twa et Bantous. Ces tensions ethniques ont créé un climat de peur et de méfiance, éloignant les populations des services de l’état civil Congo.
Le même Oscar Mumba, portant également la casquette de chef du service de l’Action humanitaire, décrypte cette complexité : « Les conflits ont exacerbé la crise humanitaire. Notre défi est double : protéger les enfants tout en restaurant la confiance entre communautés ». Les équipes sur le terrain mènent un travail de fourmi, alliant sensibilisation sur l’importance de l’acte de naissance et accompagnement dans les centres de santé lors des campagnes de vaccination.
L’appui de l’UNICEF RDC s’inscrit dans le cadre du projet de Réponse Rapide (UniRR), financé par le Bureau for Humanitarian Assistance (BHA) et la Direction générale de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes (ECHO). Ce programme vital permet d’apporter une assistance d’urgence et des services de protection aux populations les plus vulnérables du Tanganyika. Mais suffit-il à répondre à l’ampleur des besoins ?
Pierre Mwange exprime une préoccupation partagée par de nombreux acteurs locaux : le soutien des partenaires internationaux contraste avec le silence assourdissant du gouvernement congolais. « Nous travaillons dans des conditions précaires, avec des moyens limités, alors que l’enjeu est fondamental pour l’avenir de ces enfants », déplore-t-il. Pourtant, les conséquences de l’absence d’enregistrement sont lourdes : sans acte de naissance Nyunzu, un enfant devient invisible aux yeux de l’État, privé de nationalité, d’accès à l’éducation et à la santé, et exclu de tout droit successoral.
Le bilan 2024 apporte cependant une lueur d’espoir avec 21 106 enfants ayant obtenu leur acte de naissance au bureau de l’état civil du territoire. Ces chiffres démontrent que les efforts de sensibilisation commencent à porter leurs fruits, même si des milliers d’enfants restent encore dans l’ombre administrative. La persistance des conflits Twa Bantous continue pourtant de menacer ces avancées fragiles, rappelant que la paix sociale reste la condition sine qua non pour garantir les droits fondamentaux des enfants.
Au-delà des statistiques, c’est l’avenir de toute une génération qui se joue dans ces bureaux d’état civil du Tanganyika. L’enregistrement des enfants représente bien plus qu’une formalité administrative : c’est la reconnaissance de leur existence et de leur dignité. Alors que la région tente de panser ses plaies, la question se pose : jusqu’à quand des enfants congolais devront-ils dépendre de l’aide humanitaire pour obtenir ce droit fondamental ? La réponse engage non seulement les autorités locales mais l’ensemble de la nation congolaise.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net