Dans la chaleur étouffante de Lukwangulo, un regroupement du territoire de Kalemie, là où les cendres des cases incendiées témoignaient encore récemment de la violence des conflits, une révolution silencieuse est en marche. Comment des communautés qui se regardaient en chiens de faïence parviennent-elles aujourd’hui à célébrer des mariages croisés et à cultiver ensemble leurs champs ? La réponse se niche dans les initiatives innovantes des agences onusiennes qui ont transformé le paysage social de cette région du Tanganyika.
Raymond Tshengi, de la FAO affecté à Nyunzu, observe avec satisfaction cette métamorphose : « La situation actuelle montre que les ménages vivent déjà ensemble. La FAO a mis en place les clubs Dimitra, une approche spécifique où les populations s’interrogent sur les défis et problèmes de leurs milieux respectifs pour trouver des solutions appropriées à la cohésion sociale. » Ces clubs, véritables laboratoires de dialogue, permettent d’étouffer dans l’œuf toute velléité de rebondissement des conflits en offrant un cadre structured de résolution des problèmes.
Le forage d’eau commun installé à Lukwangulo symbolise à lui seul cette nouvelle ère. Dans ce groupement jadis vidé de ses habitants après les violents affrontements de 2017, le point d’eau ne sert pas seulement à désaltérer les populations. Il constitue un lieu de rencontre obligé où Twa et Bantou se croisent quotidiennement, échangent et reconstruisent patiemment des liens brisés par des années de méfiance.
Mais la véritable mesure du changement réside peut-être dans ces mariages entre Twa et Bantou qui se célèbrent désormais publiquement. Du jamais-vu dans une région où les tensions communautaires rendaient impensable toute union mixte. « Au-delà des mariages, aujourd’hui ils peuvent également faire le champ et récolter ensemble à Lukwangulo », confirme Raymond Tshengi, soulignant que cette communauté est dirigée par un Twa, accepté par les Bantou pourtant majoritaires.
Mohamed Ndemba, modérateur Twa du club Dimitra de Lukwangulo, incarne cette transformation. « La paix est revenue et je me réjouis du fait que chacun parmi les deux communautés a au moins une chèvre, et sont à ce jour au même pied d’égalité d’autant qu’ils font des travaux ensemble. » La distribution de chèvres par la FAO dépasse ainsi la simple assistance économique : elle établit une équité symbolique forte entre les communautés.
À quelques kilomètres de là, au regroupement de Miketo, la cohabitation pacifique prend une autre dimension. La maternité construite grâce à la collaboration entre HCR, UNFPA et FAO ne se contente pas de rapprocher les services de santé des populations. Elle devient un creuset où femmes Twa et Bantou partagent les mêmes attentes, les mêmes joies et les mêmes craintes, tissant des solidarités nouvelles autour de la maternité.
Le centre des jeunes voisin, équipé d’un téléviseur par l’UNFPA, participe de cette même stratégie de rapprochement. Djuma, représentant des jeunes de Miketo, en témoigne : « Ce centre est d’une importance capitale car il nous permet de réunir les jeunes Twa et Bantous. Nous organisons des activités de divertissement ensemble et il nous sert de cadre de règlement des différends. Il booste la cohabitation pacifique entre nous. »
Comment ne pas voir dans ces initiatives multiples les fondations d’une paix durable ? Les clubs Dimitra, les infrastructures communes, les activités génératrices de revenus partagées : autant de pièces d’un puzzle complexe qui recompose le tissu social déchiré du Tanganyika. La FAO, l’UNFPA, l’UNICEF et le HCR ont compris que la résolution des conflits communautaires passait par cette approche multidimensionnelle créant des interdépendances positives.
Les projets ONU en RDC démontrent ici leur pertinence en s’attaquant aux racines mêmes des conflits plutôt qu’à leurs seules manifestations. En favorisant les échanges économiques, en créant des espaces de dialogue structurés, en développant des infrastructures partagées, ces interventions construisent une paix qui ne soit pas simplement l’absence de guerre, mais l’émergence d’un vivre-ensemble renouvelé.
Le chemin reste long, certes. Mais à Lukwangulo et Miketo, Twa et Bantou écrivent ensemble une nouvelle page de leur histoire commune. Une page où la diversité n’est plus une malédiction mais une richesse, où les différences se complètent au lieu de s’affronter. La paix au Tanganyika se construit ainsi, pas à pas, forge d’eau après forge d’eau, mariage mixte après mariage mixte, récolte commune après récolte commune.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd