La crise politique à Madagascar a atteint un nouveau palier ce samedi 11 octobre, alors que des soldats ont rejoint les manifestants dans les rues d’Antananarivo, créant une situation sans précédent qui fragilise davantage le pouvoir du président Andry Rajoelina. Dans un geste de désobéissance historique, des militaires ont appelé leurs camarades à refuser de tirer sur la population et à bloquer l’aéroport international d’Ivato.
Quelle est la portée réelle de cette fracture au sein des forces armées malgaches ? La scène était inimaginable il y a encore quelques semaines : des soldats en tenue descendant de leurs véhicules militaires pour être acclamés par des milliers de manifestants. Le contingent du Capsat, unité militaire des personnels et services administratifs et techniques, a lancé un appel à la désobéissance civile qui pourrait bien changer le cours des événements.
Les tensions entre l’armée et le pouvoir atteignent un niveau critique alors que le colonel Michael Randrianirina a confirmé qu’un militaire avait perdu la vie et qu’un journaliste avait été blessé lors des affrontements. « A tous ceux qui ont envoyé les gendarmes ici, à commencer par le chef de la gendarmerie, le premier ministre, le président… Ils doivent quitter le pouvoir », a-t-il déclaré avec une fermeté qui en dit long sur la détermination des mutins.
La manifestation de samedi représente l’apogée d’un mouvement de contestation né le 25 septembre dernier, initialement centré sur les coupures d’eau et d’électricité chroniques, mais qui s’est progressivement transformé en rejet du système politique en place. Le mouvement Gen Z, fer de lance de cette révolte, a présenté une liste de revendications exigeant notamment « le lancement d’un dialogue national démocratique » et « l’accès universel aux services essentiels ».
Face à cette escalade, le nouveau premier ministre, Ruphin Zafisambo, a tenté de rassurer en affirmant que le gouvernement était « prêt à collaborer et à écouter toutes les forces ». Pourtant, ses paroles semblent en décalage avec la réalité sur le terrain, où les forces de sécurité ont eu recours aux gaz lacrymogènes et aux grenades assourdissantes pour disperser les manifestants.
La base militaire de Soanierana, d’où est partie l’appel à la désobéissance, n’en est pas à sa première rébellion. En 2009, elle avait déjà joué un rôle déterminant dans le soulèvement qui avait porté au pouvoir l’actuel président. Cette référence historique n’est pas anodine et souligne la cyclicité des crises politiques à Madagascar.
Le nouveau ministre des armées, le général Deramasinjaka Manantsoa Rakotoarivelo, a appelé au calme lors d’une conférence de presse samedi, rappelant que « l’armée malgache demeure un médiateur et constitue la dernière ligne de défense de la nation ». Mais ces déclarations officielles contrastent avec la réalité des soldats qui braquent désormais leurs armes sur leurs supérieurs.
La communauté internationale commence à s’inquiéter sérieusement de l’évolution de la situation. Le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a appelé vendredi les autorités malgaches à « cesser le recours à une force inutile ». Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, au moins vingt-deux personnes ont perdu la vie depuis le début des manifestations fin septembre.
Le président Rajoelina, après avoir adopté dans un premier temps un ton conciliant et procédé au renvoi du gouvernement, a opéré un virage sécuritaire en nommant un militaire comme premier ministre et en pourvoyant seulement trois portefeuilles ministériels clés : ceux des armées, de la sécurité publique et de la gendarmerie. Cette stratégie de durcissement suffira-t-elle à enrayer la contestation ?
La crise politique à Madagascar entre dans une phase décisive où la loyauté des forces armées devient l’enjeu central. Les manifestations à Antananarivo et l’appel à la désobéissance des soldats pourraient bien marquer un tournant dans l’histoire récente de la Grande Île. La question qui se pose désormais est de savoir si le pouvoir en place parviendra à reprendre le contrôle ou si la fracture au sein de l’armée précipitera sa chute.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: mediacongo.net