La décision de Médecins Sans Frontières de fermer son projet de prise en charge des survivantes de violences sexuelles à Salamabila, dans la province du Maniema, à la fin octobre 2025, soulève d’importantes questions sur la continuité des soins pour les populations vulnérables. Comment cette région pourra-t-elle maintenir les avancées médicales et psychosociales acquises depuis près de sept ans ?
Ce retrait anticipé, initialement prévu pour 2026, intervient dans un contexte humanitaire particulièrement préoccupant. Emmanuel Lampaert, représentant de MSF en RDC, explique cette décision par une combinaison de facteurs : « Nous avons atteint les objectifs de modélisation d’un modèle reproductible au niveau communautaire pour la prise en charge des violences sexuelles, mais nous devons aussi faire face à la réalité des financements humanitaires en forte baisse ».
Le chiffre est éloquent : depuis 2019, MSF a pris en charge 16 445 survivant·e·s de violences sexuelles dans la région de Salamabila. Ce nombre témoigne de l’ampleur d’une crise silencieuse qui persiste malgré les changements de contexte sécuritaire. Les violences sexuelles demeurent une urgence de santé publique dans tout l’est de la RDC, y compris au Maniema, où les conflits entre groupes armés et les tensions autour des ressources naturelles continuent de générer des victimes.
L’approche innovante développée par MSF à Salamabila repose sur un réseau d’agents de santé reproductive (ASR) – des femmes issues de la communauté, souvent elles-mêmes survivantes. Formées pour offrir une prise en charge médicale et psychosociale rapide, confidentielle et gratuite, ces ASR ont permis de décentraliser les soins. En 2024, 64% des survivants de violences sexuelles ont été pris en charge directement dans leurs communautés par ces agents spécialisés.
Mais au-delà des violences sexuelles, le projet de Salamabila a eu un impact bien plus large. Emmanuel Lampaert précise : « Le projet a permis de prendre en charge plus de 415 000 cas de paludisme, a organisé des campagnes de vaccination contre la rougeole touchant plus de 80 000 enfants à chaque fois, et a traité plus de 15 000 cas de malnutrition ».
La situation financière actuelle rend pourtant ce retrait inévitable. Le plan de réponse humanitaire pour la RDC n’est financé qu’à hauteur de 15%, et le Maniema ne reçoit que 2,5% des fonds alloués par le Fonds Humanitaire de la RDC. Ce sous-financement chronique, combiné à l’enclavement croissant de la région depuis la fermeture de l’aéroport de Bukavu en février dernier, crée une situation d’urgence humanitaire alarmante.
MSF maintient cependant un dispositif de surveillance et un stock de contingence pour répondre aux urgences sanitaires comme la rougeole ou le choléra. L’organisation appelle surtout à une mobilisation urgente des autorités, bailleurs et partenaires humanitaires pour assurer la relève. « Nous appelons les autres acteurs qui font le lien avec le développement à ne pas négliger, à ne pas oublier le Maniema, le Sud Maniema et notamment Kabambare et Salamabila », insiste Emmanuel Lampaert.
La question centrale reste : comment garantir que les avancées significatives en matière de prise en charge des violences sexuelles ne seront pas perdues ? Le modèle communautaire développé à Salamabila a prouvé son efficacité, mais son transfert aux autorités locales et aux autres acteurs humanitaires nécessite un engagement financier et politique soutenu.
Alors que les besoins humanitaires augmentent dans l’est de la RDC, la fermeture du projet MSF à Salamabila risque de laisser des milliers de personnes sans accès aux soins essentiels. La communauté internationale et les autorités congolaises parviendront-elles à prendre le relais à temps pour éviter une rupture dramatique dans la prise en charge des populations vulnérables du Maniema ?
Article Ecrit par Amissi G
Source: Actualite.cd