L’Assemblée nationale congolaise a franchi jeudi une étape décisive en adoptant la prorogation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, lors d’une plénière tenue au Palais du peuple à Kinshasa. Cette décision, obtenue avec une écrasante majorité de 353 voix pour sur 384 députés présents, soulève pourtant d’importantes questions sur l’efficacité réelle de cette mesure exceptionnelle après plus de deux années d’application continue.
Le professeur Jean-Claude Tshilumbayi, président intérimaire de l’Assemblée nationale, a officiellement acté l’adoption du texte, marquant ainsi le prolongement d’un régime d’exception qui continue de diviser l’opinion. La quasi-unanimité du vote masque-t-elle une véritable adhésion ou révèle-t-elle plutôt les pressions politiques exercées sur les représentants du peuple ?
Dans son exposé des motifs, Jacques Djoli, rapporteur de la chambre basse, a rappelé le contexte sécuritaire dramatique qui prévaut dans l’est de la République démocratique du Congo depuis plus de trois décennies. « La partie Est du pays est en proie à des atrocités multiples résultant de l’agression et de l’occupation dont elle est victime de la part du Rwanda, ainsi que des groupes armés tant locaux qu’étrangers », a-t-il déclaré, justifiant ainsi la nécessité de maintenir ce dispositif sécuritaire hors norme.
Le mécanisme de prorogation, initialement conçu comme une mesure temporaire, s’est institutionnalisé au fil des renouvellements bimensuels. Comme le précise l’article 144, alinéa 5 de la Constitution congolaise, ce régime exceptionnel nécessite l’autorisation régulière du Parlement pour continuer à produire ses effets. Mais jusqu’à quand cette situation d’exception pourra-t-elle perdurer sans remettre en cause les fondements mêmes de l’État de droit ?
La dimension régionale du conflit apparaît clairement dans les arguments avancés par les partisans de la prorogation. L’accusation directe portée contre le Rwanda voisin témoigne de la complexité géopolitique d’une crise qui dépasse largement le cadre purement sécuritaire. Les « forces négatives » évoquées par le rapporteur désignent autant les groupes armés locaux que les influences étrangères présumées, créant un imbroglio diplomatique aussi dangereux que difficile à démêler.
L’adoption parallèle du même texte par le Sénat, avec un vote unanime de 74 sénateurs, confirme la ligne dure choisie par les institutions congolaises face à la persistance de l’insécurité dans l’Est. Jean-Michel Sama Lukonde, président de la chambre haute, a souligné l’absence totale d’opposition au sein de son assemblée, un consensus qui interroge sur la marge de manœuvre réelle des parlementaires face à l’exécutif.
Les justifications sécuritaires avancées par le gouvernement rencontrent un écho particulier dans un contexte où les populations civiles continuent de payer le prix fort des violences persistantes. Cependant, certains observateurs s’interrogent sur l’efficacité réelle de l’état de siège après plus de deux ans d’application. Les résultats concrets en matière de pacification restent mitigés, alors que les restrictions aux libertés fondamentales s’accumulent.
La prorogation de l’état de siège dans le Nord-Kivu et l’Ituri représente-t-elle une solution adaptée ou un aveu d’échec politique ? La réponse des autorités congolaises, à travers le vote parlementaire, semble tranchée. Pourtant, la persistance des violences malgré le dispositif militaire renforcé invite à une réflexion plus profonde sur les limites de l’approche sécuritaire face à des conflits aux racines multiples.
Les prochains mois seront déterminants pour évaluer l’impact réel de cette nouvelle prorogation sur la sécurité des populations civiles et la stabilisation de ces régions meurtries. Le gouvernement congolais joue sa crédibilité sur sa capacité à traduire cette mesure exceptionnelle en progrès tangibles sur le terrain. Entre urgence sécuritaire et respect des libertés démocratiques, l’équilibre reste précaire dans ces provinces où l’état de siège est devenu la norme plutôt que l’exception.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net