Sur les rives du lac Albert, une ombre inquiétante plane sur les activités des pêcheurs. Des militaires censés protéger la population imposeraient une taxe illégale baptisée « réseau », plongeant les travailleurs de la pêche dans un profond désarroi. Comment en est-on arrivé à cette situation où ceux qui devraient sécuriser deviennent des prédateurs ?
Le montant de cette contribution forcée varie entre 3,5 et 5 millions de francs congolais par semaine, selon nos informations. Une somme colossale pour des pêcheurs qui luttent quotidiennement pour leur subsistance. Le plus troublant ? Aucun reçu officiel n’est délivré, et la destination de ces fonds reste mystérieuse.
« Nous sommes pris en étau entre la précarité de notre métier et ces exigences abusives », confie un pêcheur qui préfère garder l’anonymat par crainte de représailles. « Chaque semaine, c’est la même angoisse : devoir trouver cet argent alors que nous avons déjà du mal à nourrir nos familles. »
Bahati Manganga, acteur politique et conseiller municipal, revient d’une mission dans la zone le cœur lourd. « Ce que je viens de constater est triste. Exiger à un citoyen qui se débrouille pour vivre, en plus des taxes officielles, de payer encore de telles sommes… Je pense que nos militaires sont là pour sécuriser la population et non pour la tracasser », dénonce-t-il avec une émotion palpable.
Cette situation soulève des questions fondamentales sur les droits humains en Ituri. Jusqu’où peut-on tolérer que des uniformes se transforment en instruments d’oppression ? La corruption des militaires dans cette région ne date pas d’hier, mais l’instauration d’un système aussi structuré de taxe illicite marque un nouveau palier dans l’escroquerie organisée.
Le réseau de prélèvement illégal semble bien huilé. Selon les témoignages recueillis par Manganga auprès des habitants et de certains militaires, cette taxe serait imposée sur instruction directe de la hiérarchie. Une révélation qui jette une lumière crue sur la généralisation de ces pratiques abusives.
« Si les responsables militaires ne font pas bien leur travail, il faut les relever, car la population souffre sérieusement. Et moi, en tant que citoyen congolais, je ne peux pas me taire », insiste le conseiller municipal. Son appel au gouverneur de province résonne comme un cri d’alarme : une intervention rapide est nécessaire pour mettre fin à ces abus qui minent la crédibilité des institutions.
Pendant ce temps, le silence des autorités militaires interpelle. Malgré plusieurs tentatives de médias pour obtenir leur version des faits, aucune réaction officielle n’a été enregistrée. Ce mutisme nourrit les suspicions et renforce le sentiment d’impunité qui entoure ces pratiques.
Les pêcheurs d’Ituri, eux, continuent de naviguer entre espoir et résignation. Entre la peur de représailles et la nécessité de travailler, leur dilemme quotidien illustre tragiquement les défis de la gouvernance dans cette région riche en ressources mais pauvre en justice.
La taxe illégale du lac Albert n’est pas qu’une affaire d’argent. Elle symbolise l’échec d’un système où la protection se transforme en prédation, où l’uniforme devient instrument d’oppression plutôt que bouclier des citoyens. Jusqu’à quand cette situation insoutenable pourra-t-elle durer ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net