Sur les berges boueuses de la rivière N’djili, à l’est de Kinshasa, une scène de labeur intense se déroule quotidiennement. Des dizaines de jeunes Congolais, le visage ruisselant de sueur et les mains calleuses, plongent leurs outils dans les eaux troubles pour en extraire l’or gris de la construction : le sable. Dans cette carrière improvisée baptisée « Carrière par la foi », l’entrepreneuriat prend une forme que peu imaginent.
« Quand la pluie tombe, nous continuons. Quand le soleil tape fort, nous persistons. C’est notre gagne-pain », confie Patience Zeba, doyen du site, les pieds enfoncés dans la boue. Ce quadragénaire dirige une équipe de jeunes âgés de 18 à 30 ans qui défient les éléments depuis l’aube jusqu’au crépuscule. Leur outillage ? Des pirogues fragiles, des bêches rouillées et des seaux en métal cabossés.
Comment expliquer cette détermination inébranlable ? La réponse se trouve dans les camions-bennes qui viennent quotidiennement s’approvisionner sur ce site stratégique. Chaque grain de sable extrait alimente le secteur de la construction à Kinshasa, contribuant ainsi à l’économie locale souvent fragilisée. Cette activité méconnue représente pourtant un pilier discret du développement urbain de la capitale congolaise.
Mais derrière cette résilience se cache une réalité amère. Les inondations d’avril dernier ont emporté plus de 140 pirogues, plongeant des familles entières dans le désarroi. « Nous avons tout perdu ce jour-là », se remémore un jeune travailleur, la voix empreinte d’émotion. Les risques sont multiples : noyades, glissements de terrain, accidents divers. Pourtant, malgré l’absence d’équipements de sécurité et de reconnaissance officielle, l’activité reprend immanquablement.
« Nous demandons simplement aux autorités de nous voir », lance un jeune de 25 ans, les mains couvertes d’ampoules. Son témoignage reflète le sentiment général de ces travailleurs de l’ombre. Ils aspirent à une reconnaissance de leur contribution à l’économie de Kinshasa, à un soutien matériel et à des conditions de travail plus sécurisées.
Quelle serait la capitale sans ces mains qui extraient la matière première de son développement ? La question mérite d’être posée alors que des centaines de bâtiments sortent de terre chaque année. L’extraction de sable à N’djili représente bien plus qu’une simple activité de subsistance : c’est un maillon essentiel de la chaîne économique locale.
Ces jeunes entrepreneurs de la rivière incarnent une forme d’économie informelle vitale pour la République Démocratique du Congo. Leur travail participe à la construction littérale et figurative du pays. Dans un contexte où le chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants, cette initiative témoigne d’une capacité d’adaptation remarquable.
Mais jusqu’à quand devront-ils compter uniquement sur leur foi et leur courage ? Les travailleurs de la carrière espèrent que les autorités provinciales et nationales entendront leur appel. Ils rêvent de voir leur activité professionnalisée, sécurisée et intégrée dans les politiques de développement local.
Alors que le soleil commence à décliner sur la rivière N’djili, les coups de bêche résonnent encore. Chaque pelletée de sable représente un espoir, une journée de nourriture assurée, un avenir à construire grain par grain. Dans cette économie de la débrouille, la dignité du travail transcende les conditions précaires.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net