Dans un geste qui pourrait sembler technique mais dont les implications politiques sont profondes, le président Félix Tshisekedi vient d’autoriser la ratification de la Charte africaine de la statistique. Cette décision, prise lors du Conseil des ministres du mercredi 3 septembre 2025, marque-t-elle un tournant décisif dans la modernisation de l’appareil statistique congolais ou s’agit-il d’une simple formalité administrative?
L’ordonnance présidentielle, lue sur la RTNC, donne suite à l’adoption du projet lors de la 55e réunion du Conseil des ministres. Le texte cite explicitement l’article 214 de la constitution, montrant ainsi l’importance juridique que revêt cette ratification. Mais au-delà de l’aspect formel, que signifie réellement cette adhésion à un instrument continental adopté il y a seize ans?
Le ministre d’État Guylain Nyembo a dressé un constat sans appel lors de son exposé: le Système Statistique National fonctionnait depuis des décennies avec un cadre normatif obsolète. Cette situation créait un décalage croissant avec les standards internationaux, affectant la crédibilité des données produites et, par extension, l’efficacité des politiques publiques.
La paradoxe est saisissant: la RDC avait signé la charte dès 2010 mais n’avait jamais procédé à sa ratification. Ce retard illustre-t-il les difficultés structurelles de l’État congolais à s’inscrire dans les dynamiques continentales? Le ministre du Plan a souligné les conséquences de cette absence de ratification: elle a affecté la capacité de réglementation et de coordination des activités statistiques nationales.
Les avantages escomptés sont pourtant multiples. La ratification devrait permettre d’améliorer la qualité et la comparabilité des données statistiques, essentielle pour l’élaboration et le suivi des politiques nationales. Elle favorisera une culture de prise de décision basée sur des faits plutôt que sur des intuitions ou des considérations politiques.
Sur le plan continental, cette adhésion tardive permettra à la RDC de participer pleinement au système statistique africain. La mutualisation des ressources rares et l’échange de bonnes pratiques constitueront des atouts majeurs pour renforcer les capacités des institutions nationales. La charte offre également un outil de plaidoyer pour obtenir les ressources nécessaires au développement statistique.
Reste à savoir si cette ratification suffira à combler le retard accumulé. La Charte africaine de la statistique, entrée en vigueur en 2015, constitue certes un cadre juridique important, mais sa mise en œuvre effective nécessitera des réformes structurelles profondes. Le gouvernement congolais saura-t-il transformer cet engagement formel en actions concrètes?
Cette décision intervient dans un contexte où la demande de données fiables n’a jamais été aussi forte. Les partenaires techniques et financiers, les investisseurs privés et les institutions internationales exigent des statistiques robustes pour appuyer leurs interventions. La crédibilité du système statistique national devient ainsi un enjeu de souveraineté économique.
Le timing de cette ratification n’est probablement pas anodin. Alors que le gouvernement prépare de nouveaux programmes de développement, la disponibilité de données fiables devient cruciale. Cette modernisation du cadre statistique pourrait-elle servir de levier pour une meilleure allocation des ressources publiques?
La balle est désormais dans le camp des autorités statistiques nationales. Elles devront traduire dans les faits les engagements pris par la ratification de cette charte. La réussite de cette réforme dépendra de la volonté politique réelle d’investir dans la production statistique et de respecter les principes fondamentaux de la statistique publique.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd