Les rues de Mambasa portent encore les stigmates de la colère populaire. Pendant quarante-huit heures, la chefferie de Bombo s’est transformée en ville fantôme, comme figée dans un silence protestataire. Commerces baissés, écoles désertes, marchés paralysés : toute la vie économique et sociale s’est arrêtée net. Derrière cette paralysie volontaire, une communauté tout entière qui crie son désarroi face à ce qu’elle perçoit comme une violation de ses droits ancestraux.
« On nous impose des limites sans nous consulter », s’indigne un notable local, la voix tremblante d’émotion. « Ces terres, nos ancêtres les ont cultivées bien avant la création de cette réserve. Comment peut-on décider de notre avenir sans nous ? » Cette question, beaucoup se la posent dans les foyers de Bombo, où la frustration le dispute à l’incompréhension.
La mission provinciale, arrivée de Bunia le 23 août dernier, devait initialement mener une campagne de sensibilisation. Mais selon les habitants, elle s’est transformée en opération de bornage unilatéral. Les repères matérialisant la nouvelle limite sud-ouest de la Réserve de Faune à Okapi (RFO) sont perçus comme des cicatrices dans le paysage, symboles d’une exclusion programmée.
Le mémorandum du 2 septembre traduit cette amertume collective. Document poignant, il détaille point par point les griefs d’une population qui se sent trahie. Les signataires réclament le retrait immédiat des bornes et exigent une véritable concertation. « Nous ne sommes pas contre la conservation de la nature, insiste un leader communautaire. Mais nous refusons qu’on nous impose des décisions qui impactent directement notre survie. »
Cette crise soulève des questions fondamentales sur la gouvernance des aires protégées en RDC. Comment concilier protection de la biodiversité et droits des communautés locales ? La démarche participative est-elle un vœu pieux ou une réalité tangible ? Les tensions à Mambasa illustrent cruellement les limites des approches top-down dans la gestion des ressources naturelles.
Le président de la communauté locale plaide pour une solution apaisée : « Nous voulons une délimitation collégiale et participative. Pas une imposition qui crée des conflits inutiles. » Son avertissement est clair : sans réponse favorable, le mouvement pourrait s’amplifier. Des « actions citoyennes de grande envergure » sont en préparation, signe que la détermination ne faiblit pas.
Les autorités provinciales, sollicitées par la société civile, gardent pour l’heure un silence inquiétant. Ce mutisme officiel nourrit les spéculations et attise les craintes. Dans les villages alentour, l’attente devient pesante. Chacun guette le moindre signe venant de Bunia, tout en préparant les prochaines étapes de la contestation.
Cette affaire dépasse le simple différend local. Elle interroge la capacité de l’État à gérer équitablement les espaces protégés, ces joyaux naturels qui font la richesse de l’Ituri mais aussi sa vulnérabilité. La recherche d’un équilibre entre conservation et développement reste un défi complexe, où le dialogue véritable semble trop souvent sacrifié sur l’autel de l’urgence administrative.
À Mambasa, l’heure est à la vigilance. Les bornes controversées sont devenues le symbole d’une fracture grandissante entre protecteurs de la nature et populations riveraines. Sans médiation rapide et inclusive, cette crise pourrait dégénérer, mettant en péril autant la paix sociale que les efforts de conservation. Le sort de la réserve et celui des communautés sont inextricablement liés : l’un ne peut prospérer sans l’autre.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net