À Beni, capitale provinciale provisoire du Nord-Kivu, la colère gronde parmi les agents du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS). Depuis ce lundi 1er septembre 2025, ces travailleurs ont décidé de fermer hermétiquement leurs bureaux et d’observer une grève sèche et illimitée. Leur revendication ? Le paiement de 35 mois d’arriérés de salaires, primes et avantages sociaux. Comment en est-on arrivé à une telle impasse ?
« Le salaire est un droit, non un cadeau, ni une faveur », martèlent les grévistes dans leur déclaration. Ces mots résonnent comme un cri du cœur de femmes et d’hommes qui se sentent abandonnés par leur hiérarchie. Un agent, préférant garder l’anonymat par crainte de représailles, confie : « Nous travaillons dans des zones à risque pour contribuer à la stabilisation de notre région, mais nous ne pouvons même pas subvenir aux besoins essentiels de nos familles. »
La situation n’est pourtant pas nouvelle. Dès le 25 juillet dernier, un préavis de grève avait été adressé à la coordination nationale du P-DDRCS à Kinshasa. Sans réponse. Depuis, la frustration n’a fait que grandir parmi les agents des antennes de Beni, Lubero et Masisi. Ces travailleurs, chargés de mettre en œuvre des programmes vitaux pour la réinsertion des démobilisés, se retrouvent paradoxalement dans une précarité extrême.
Concrètement, la grève signifie l’arrêt total des missions de terrain, la suspension des activités avec les partenaires et l’interruption de tout rapport administratif. Les conséquences pourraient être désastreuses pour un programme crucial dans une province encore marquée par les conflits armés. Le P-DDRCS, fruit de la fusion du PNDDR et du STAREC, est pourtant un instrument essentiel dans la stratégie de stabilisation de la RDC.
Cette grève des agents du P-DDRCS Nord-Kivu s’inscrit dans une longue série de mouvements de protestation. Dès juillet 2024, des agents étaient en sit-in devant le bureau de Butembo. Certains avaient même entamé une grève de la faim en août de la même année pour réclamer le paiement de leurs primes de risque. Des promesses avaient été faites par la coordination nationale, mais sont restées lettre morte.
Aujourd’hui, les grévistes annoncent rester en sit-in permanent « jours et nuits » dans la cour du bureau de l’antenne de Beni. Ils attendent l’arrivée du coordonnateur national adjoint chargé de l’administration et des finances, attendu depuis le 25 août. Un ultimatum d’une semaine a été donné, faute de quoi des actions « de grande envergure » seront entreprises.
Cette situation pose des questions fondamentales sur la gestion des programmes publics en RDC. Comment peut-on espérer stabiliser des zones sortant de conflits armés lorsque les agents chargés de cette mission vitale sont eux-mêmes en situation de détresse sociale ? Le programme P-DDRCS, placé sous l’autorité directe du président de la République, se trouve ainsi paradoxalement affaibli par le non-paiement de ses propres agents.
Les enjeux dépassent largement la simple question des arriérés de salaires. Il s’agit de la crédibilité même des institutions congolaises dans leur capacité à mettre en œuvre des programmes de stabilisation. La réinsertion des démobilisés « vers des activités économiques et d’intérêt public, loin du métier des armes » nécessite des agents motivés et correctement rémunérés.
La grève du P-DDRCS Nord-Kivu révèle ainsi les contradictions d’un système où les beaux discours peinent à se concrétiser en actions tangibles pour ceux qui sont en première ligne. Alors que la RDC continue de faire face à d’immenses défis sécuritaires dans l’Est du pays, la négligence des revendications sociales des agents publics risque de compromettre les efforts de paix et de stabilisation.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd