Dans la littérature congolaise contemporaine, une voix se lève pour rompre le silence assourdissant qui entoure trois décennies de conflits dans l’est de la République Démocratique du Congo. Myra Dunoyer Vahighene, native de Butembo au Nord-Kivu, offre avec Ceux qu’on ne sauvera pas un témoignage brûlant qui transcende la simple narration pour devenir un acte de résistance mémorielle.
Comment décrire l’indescriptible ? Comment donner une sépulture verbale à ces milliers d’âmes innocentes sacrifiées sur l’autel de l’avidité minérale et des calculs géopolitiques ? L’ouvrage, publié le 10 août 2025, se présente comme une archéologie de la douleur, une cartographie des traumatismes accumulés depuis trente ans dans cette région meurtrie.
La couverture elle-même parle un langage symbolique poignant : une jeune fille au regard désabusé, vêtue de rouge comme le sang versé, portant sur son bras un corbeau messager de mauvais présages. Cette image résume à elle seule la résignation fatale qui s’est abattue sur des populations entières, condamnées à subir les affres d’une guerre sans fin.
Myra Vahighene ne se contente pas de raconter ; elle accuse, elle dénonce, elle interpelle. Son récit traverse le temps, depuis la conférence de Berlin qui a tracé arbitrairement les frontières de la prédation contemporaine, jusqu’aux incursions récurrentes des groupes rebelles comme le M23. Elle n’épargne personne : ni les « fils du pays » ayant trahi leur peuple, ni les autorités congolaises actuelles dont les promesses non tenues résonnent comme autant de trahisons supplémentaires.
« À l’Est de la République Démocratique du Congo, depuis plus de 30 ans, la terre saigne », écrit-elle avec une amertume qui ne cache pas sa colère. Ces mots ne dansent pas sur la page ; ils pleurent avec ceux qui pleurent, ils portent le deuil des villages entiers rayés de la carte, des corps laissés sans sépulture, des noms jamais appris.
L’auteure évoque avec une nostalgie douloureuse le tambour sacré « Ngoma » de Goma, qui resonnait autrefois comme une vibration d’espérance avant que la guerre ne le réduise au silence. Elle parle de Bunangana, de Masisi, du lac Kivu – autant de lieux devenus les théâtres de tragédies humaines inimaginables.
Au-delà du témoignage, l’ouvrage constitue un plaidoyer urgent pour la mémoire collective. Comment construire un avenir lorsque le présent reste hanté par les fantômes du passé ? Comment envisager la paix lorsque chaque jour apporte son lot de violences nouvelles ? Myra Vahighene pose ces questions avec une acuité qui devrait ébranler les consciences endormies.
Le livre se fait l’écho de ceux que l’histoire officielle a oubliés, de ces « ceux qu’on ne sauvera pas » parce que déjà perdus, mais dont le sacrifice ne doit pas être vain. C’est un appel à la responsabilité, un rappel que la sécurité et la paix sont des droits constitutionnels que l’État se doit de garantir à tous ses citoyens.
Dans un style à la fois poétique et incisif, l’auteure réussit l’exploit de transformer la douleur en verbe, la souffrance en langage. Son témoignage sur la guerre RDC devient ainsi une arme de construction massive – non pas pour perpétuer la haine, mais pour bâtir les fondations d’une mémoire authentique et d’une future réconciliation.
Ceux qu’on ne sauvera pas s’impose comme un document essentiel pour comprendre la complexité des conflits dans l’est congolais, mais aussi comme une œuvre littéraire à part entière, qui honore la résilience d’un peuple meurtri mais debout.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc