Dans l’effervescence culturelle kinoise, un souffle nouveau agite le paysage artistique congolais. Le Centre Wallonie Bruxelles de Kinshasa a accueilli ce lundi 18 août la deuxième phase d’un atelier de recherche sur la critique d’art, initiative audacieuse portée par Krithika Art Projects. Face au silence assourdissant qui entoure souvent les créations locales, cette formation se présente comme un rempart contre la pénurie de regards analytiques capables de décrypter les métamorphoses de la scène artistique congolaise.
Comment expliquer cette carence de voix critiques dans un pays où la création foisonne ? La réponse se niche peut-être dans cette initiative qui transforme l’essai après une première phase dédiée à l’initiation. Place désormais à la pratique, à cette alchimie subtile où la théorie rencontre l’œuvre, où le regard apprend à dépasser la simple contemplation pour embrasser l’interprétation. Les participants, selected parmi des centaines de candidatures, plongent maintenant dans le vif du sujet : produire des textes nourris par l’expérience directe des expositions et ateliers qui font battre le cœur artistique de Kinshasa.
Parmi les interventions marquantes, celle de Guychel Mbon a jeté un pavé dans la mare tranquille des certitudes esthétiques. Son texte provocateur, « Les artistes peintres contemporains congolais, piégés dans du déjà vu ? », pointe du doigt une redondance inquiétante dans les productions locales. « Les tableaux sont presque les mêmes », constate-t-il, déplorant cette tendance à puiser exclusivement dans les codes des prédécesseurs sans oser la rupture créative. Une critique qui interroge : les artistes contemporains congolais sauront-ils consulter le passé sans s’y emprisonner ?
À l’autre bout du spectre analytique, Rodrigo Gukwikila et Mugisho Bashomba ont choisi d’explorer les marges fertiles de l’art informel kinois. Leur approche, moins accusatrice que diagnostique, reconnaît la valeur de ces pratiques tout en appelant à leur régulation. « Leur soif d’apprendre est encourageante, mais elle doit être orientée », soulignent-ils, plaidant pour une vulgarisation qui n’omettrait pas l’exigence créative. Une position nuancée qui révèle les tensions entre accessibilité et excellence dans un écosystème artistique en pleine mutation.
Jean Kamba, directeur artistique de Krithika Art Projects, dévoile les coulisses de ce projet ambitieux. « Nous prévoyons une troisième phase », annonce-t-il, tout en évoquant les défis logistiques et financiers qui contraignent le rythme des formations. Un tempo lent qui présente paradoxalement un avantage : maintenir un lien continu avec les critiques en devenir, affûter leurs plumes dans la durée. Le Centre Wallonie Bruxelles apparaît comme le partenaire fidèle de cette aventure, accompagnant l’initiative depuis son lancement en février 2024.
Cet atelier de critique d’art dépasse le simple cadre formatif pour questionner les fondements mêmes de la création contemporaine au Congo. Il soulève des questions essentielles : comment construire un discours critique qui serve l’art sans l’asservir ? Comment éviter à la fois le mimétisme stérile et la rupture déracinée ? Les textes produits lors de ces sessions pourraient bien constituer les premières pierres d’un édifice critique congolais enfin autonome, capable de penser ses propres standards esthétiques.
Alors que les demandes de participation ne cessent d’affluer depuis l’appel à candidatures de janvier, l’engouement manifeste une soif longtemps étanchée. Cette soif d’analyse, de contextualisation, de mise en perspective d’une scène artistique congolaise en pleine effervescence mais encore trop souvent réduite au silence critique. Krithika Art Projects, à travers cet atelier, ne forme pas seulement des critiques : elle cultive les jardiniers attentifs qui sauront reconnaître les fleurs rares dans la jungle créative kinoise.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Actualite.cd