Dans les méandres de Kinshasa, où les bruits de la ville composent une symphonie permanente, existe un silence particulier—celui porté par des milliers de personnes sourdes, souvent invisibilisées, souvent oubliées. Pourtant, au cœur de cette absence de son, résonne l’écho puissant d’un héritage : celui d’Andrew Foster, premier Noir sourd diplômé de l’Université Gallaudet aux États-Unis, dont la mission évangélique et éducative a irradié l’Afrique centrale dès la fin des années 1950.
Imaginez un destin tissé de résilience : celui de Bandongola Asuka Moke, Congolais devenu sourd après une méningite, errant dans un système éducatif conçu pour les entendants, isolé, muré dans un mutisme social. Son parcours croise, dans une ironie du sort pleine d’espoir, celui de Foster. Tous deux victimes de la méningite, tous deux porteurs d’une flamme—celle de l’émancipation par la langue des signes.
Andrew Foster, animé d’une foi inébranlable, a quitté son Amérique natale pour fonder plus de trente écoles à travers l’Afrique, dont l’Institut pour Sourds-Muets de Kinshasa (ISMK). Son approche était révolutionnaire : offrir non seulement une éducation, mais une identité. Car que signifie exister dans un monde qui refuse de vous voir ?
Bandongola, lui, est devenu le gardien de cet héritage. Devenu gardien de l’ISMK, il incarne la persévérance d’une génération sacrifiée. Son combat dépasse les murs décrépits de l’institut : c’est celui de la dignité retrouvée, d’une inclusion encore fragile dans une société où la surdité reste trop souvent associée à la malédiction ou à la honte.
Aujourd’hui, le Centre de Production des Programmes et Supports de Sensibilisation des Sourds (CPPS) produit un documentaire poignant sur cette rencontre historique. Une œuvre qui ne se contente pas de raconter—elle interroge. Comment expliquer que près de 60 % des surdités infantiles, causées par des maladies évitables comme la méningite bactérienne, persistent dans l’indifférence générale ?
L’éducation des sourds au Congo reste un défi de taille. Si l’ISMK symbolise un pas en avant, il peine aujourd’hui à offrir une formation professionnelle adaptée, faute de moyens et de reconnaissance étatique. Les mentalités évoluent, mais lentement—trop lentement au goût de ceux qui, comme Bandongola, se battent depuis des décennies.
Et pourtant, des lueurs d’espoir percent. La Compagnie Théâtre Mabin’A Maboko, intégrée au CPPS, mêle sourds et entendants sur scène, utilisant la langue des signes et la parole pour créer un dialogue inédit. Un théâtre d’intervention qui éduque autant qu’il émerveille, prouvant que le handicap n’est pas une fatalité, mais une différence à célébrer.
La question de l’inclusion des personnes handicapées en RDC reste brûlante. Alors que le pays s’engage sur la scène internationale pour plus d’équité, que font les autorités pour concrétiser ces promesses ? Bandongola, héros discret, mériterait une reconnaissance de son vivant—un symbole fort pour toutes les personnes sourdes qui luttent chaque jour pour leur place dans la société.
L’ombre d’Andrew Foster plane encore sur Kinshasa. Son rêve—celui d’une Afrique où chaque enfant sourd pourrait s’épanouir—reste inachevé. Mais dans le silence apparent, une révolution culturelle est en marche, portée par des hommes et des femmes qui refusent l’oubli. Et si, finalement, c’était dans le silence que résidait la plus belle des harmonies ?
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc