Dans la chaleur étouffante de Mangurejipa, un ancien combattant ADF serre les poings en évoquant ses nuits hantées par les souvenirs. « Ils ont tué ma famille devant moi. Maintenant, qui m’aide à chasser ces images ? » Cette question lancinante résonnait lors du dialogue social du 14 août dans le secteur de Bapere, territoire de Lubero, où des communautés meurtries ont interpellé Kinshasa et ses partenaires sur l’urgence du désengagement rebelles ADF et du soutien psychologique aux victimes.
Plus de 200 participants – rescapés aux regards fuyants, ex-miliciens tatoués, chefs coutumiers en pagne traditionnel – se sont rassemblés à l’initiative de l’ONG JAPED Nord-Kivu. Tous unis dans un même cri : comment reconstruire lorsque les blessures de l’âme restent ouvertes ? Le coordinateur Disciple Makasi martèle une évidence trop souvent ignorée : « Sans accompagnement psychologique pour les victimes et les familles qui accueillent d’anciens combattants, toute réconciliation est un leurre. »
Derrière cette demande, un constat accablant. Les opérations FARDC-UPDF Lubero ont certes affaibli les groupes armés, mais chaque assaut militaire s’accompagne de nouvelles vagues de traumatismes. Une mère de six enfants, accroupie près d’un mur fissuré, confie : « Mes fils reviennent des forêts avec des yeux de fantômes. Les centres de santé ? Ils n’ont même pas d’aspirine ! » Comment espérer la paix quand une génération entière grandit dans la terreur non soignée ?
Le dialogue social Bapere révèle une autre faille béante : la réintégration chaotique des repentis. Simon*, ex-ADF depuis trois mois, décrit sa descente aux enfers : « Le village me traite de monstre. Sans terre ni travail, la brousse me rappelle… » Son témoignage souligne l’impérieuse nécessité d’un programme global associant déradicalisation, formation professionnelle et médiation communautaire – loin des approches purement sécuritaires.
Autour de la table, les représentants des forces conjointes FARDC-UPDF écoutent, prennent notes. Leur présence symbolise ce paradoxe congolais : on déploie des bataillons pour traquer les rebelles, mais presque rien pour guérir les survivants. Makasi insiste : « Notre action vise à créer un bouclier social contre le recrutement forcé. Donnez aux jeunes de Bapere des alternatives concrètes avant que les kalachnikovs ne leur tendent les bras ! »
L’appel lancé depuis Mangurejipa dépasse la simple requête humanitaire. Il questionne notre conception même de la paix. Peut-on vaincre l’extrémisme par les armes seules, sans s’attaquer aux failles psychologiques qu’il exploite ? Les communautés de Lubero rappellent une vérité élémentaire : derrière chaque statisticque de « combattant neutralisé », il y a un enfant soldat à désintoxiquer, une mère en deuil à accompagner, un village à réapprendre à vivre ensemble. La vraie victoire contre les ADF se jouera peut-être moins dans les collines boisées que dans ces salles de dialogue où l’on panse les âmes.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net