Le silence des fusils résonne encore dans la mémoire collective. Vingt et un ans après le massacre de Gatumba, les visages marqués par la douleur se sont rassemblés à Kinshasa pour une commémoration lourde de souvenirs et d’exigences. Ce 13 août 2004, des combattants du Front National de Libération (FNL) ont transformé un camp de réfugiés en champ de carnage, abattant « lâchement » selon les termes officiels, plus de 150 Congolais Banyamulenge à la frontière burundo-congolaise.
« Tant que la vérité sera étouffée, tant que la justice ne sera pas rendue, les cycles des violences reviendront », a martelé Alexis Gisaro Muvuni, ministre de l’Urbanisme et membre de la communauté Banyamulenge, la voix empreinte d’une colère contenue. Dans son discours poignant, il dénonce une double peine : « Notre communauté est prise en otage dans un conflit qui dure depuis des décennies. Nous refusons que nos souffrances soient instrumentalisées par des puissances étrangères comme le Rwanda ou des politiciens en mal de position. »
Comment expliquer que deux décennies plus tard, les bourreaux courent toujours ? Cette question hante les survivants et familles des victimes, dont le deuil reste entaché d’impunité. Human Rights Watch rappelle que ce massacre ethnique ciblant les Banyamulenge – souvent assimilés aux Tutsi – s’est produit à « l’intersection de deux processus de paix fragiles », exacerbant les tensions régionales. Les acteurs politiques burundais et congolais s’en sont rapidement servis comme monnaie d’échange, augmentant le risque de nouveaux conflits.
Patrick Muyaya, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, a apporté la réponse des institutions : « De Gatumba à Kishishe, c’est le même sang congolais qui coule. Le président de la République réaffirme son engagement à protéger tous les citoyens sans distinction. » Un engagement salué par la communauté, qui manifeste aujourd’hui son soutien aux efforts de paix. « Votre communauté dit non à ceux qui prétextent sa protection pour tuer ailleurs », a-t-il souligné, reconnaissant ainsi la position courageuse des Banyamulenge dans le contexte actuel de violences à l’Est.
Pourtant, derrière les déclarations solennelles, persiste l’amer constat d’une justice inachevée. Les familles déplacées, les survivants aux corps et âmes marqués, attendent toujours que lumière soit faite sur les commanditaires de ce crime. La commémoration dépasse le simple recueillement : elle devient acte de résistance contre l’oubli organisé et les manipulations géopolitiques. « Chaque vie perdue constitue une blessure pour la nation », insiste Muyaya, rappelant l’universalité de la douleur congolaise.
Alors que le spectre de violences intercommunautaires ressurgit dans l’Est du pays, Gatumba demeure un symbole tragique des conséquences de l’impunité. La détermination des survivants à transformer leur douleur en force collective interpelle : jusqu’à quand les différences ethniques serviront-elles de prétexte à l’effusion de sang ? La réponse se trouve peut-être dans cette foule rassemblée à Kinshasa, refusant que son histoire soit détournée, exigeant que les morts ne soient pas morts en vain. Vingt et un ans après, leur combat pour la vérité et la réconciliation demeure le seul chemin vers une paix durable.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: Actualite.cd