« Des femmes, sensibles aux infections, évitent ces toilettes ». Cette confidence d’une Kinoise résume l’humiliation quotidienne vécue par des milliers d’habitants de la capitale congolaise. À Kinshasa, le simple besoin physiologique se transforme en parcours du combattant, faute d’infrastructures sanitaires décentes. Comment une métropole de 17 millions d’âmes peut-elle fonctionner sans toilettes publiques accessibles ?
Notre enquête révèle une réalité alarmante : dans la majorité des communes, ces installations sont purement inexistantes. Là où elles survivent – souvent trois cabines maximum – leur état provoque le dégoût. Prenez la place des Évolués à Gombe : dès l’entrée, une puanteur tenace prend à la gorge. Les murs sont souillés, le sol gluant, et aucun savon ou désinfectant n’est disponible. « C’est pire qu’une porcherie », lâche un usager en se bouchant le nez.
Le calvaire a un prix : entre 500 et 1000 francs congolais (0,3 USD) par passage, une somme prohibitive pour bien des familles. Royale, autre site de Gombe, fait figure d’exception relative avec des conditions « acceptables ». Mais cette rareté soulève une question brûlante : pourquoi les marchés comme Kalembelembe à Lingwala ou le quartier des Anciens combattants à Ngaliema doivent-ils se contenter de trous à ciel ouvert ?
Joël Kyana, président des urbanistes congolais, ne mâche pas ses mots : « Les toilettes publiques participent à l’image même de la ville. Leur abandon reflète notre mépris pour la dignité humaine ». Son diagnostic est implacable : Kinshasa sombre dans une crise sanitaire silencieuse. Les conséquences ? Propagation de maladies hydriques, pollution des sols, et surtout, une atteinte systématique à l’intimité des plus vulnérables.
Les femmes paient le tribut le plus lourd. Beaucoup préfèrent se retenir toute la journée plutôt que d’affronter ces cloaques, risquant infections urinaires et complications rénales. « Je limite mes déplacements », confie une vendeuse du marché Central, les yeux baissés. Cette privation d’hygiène urbaine élémentaire crée des zones de non-droit où la défécation en plein air devient la norme.
Face à ce désastre, les Kinois exigent des solutions concrètes : des blocs sanitaires gratuits ou abordables, entretenus quotidiennement, et répartis équitablement. Mais combien de temps encore devront-ils subir cette humiliation ? Alors que les autorités promettent des mégaprojets, l’urgence reste les besoins fondamentaux. Car une capitale qui ne peut offrir des toilettes propres à ses citoyens a perdu l’essence même de sa fonction : protéger et servir.
La crise des toilettes publiques à Kinshasa dépasse la simple question d’infrastructure. Elle révèle une fracture sociale béante et interroge notre conception du vivre-ensemble. Sans révolution des mentalités et des priorités budgétaires, cette bombe sanitaire continuera d’empoisonner le quotidien des plus démunis. Le développement de la RDC passera aussi par l’accès de tous à la dignité la plus élémentaire.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net