Jean-Luc, cultivateur de 45 ans, serre contre lui son maigre baluchon en contemplant sa parcelle ravagée à Rutshuru. « Rentrer après trois ans d’exode, c’est un soulagement mêlé d’angoisse : comment vais-je nourrir ma famille avec ces champs pillés ? » Son témoignage résonne comme un écho aux 1,4 million de déplacés ayant regagné le Nord-Kivu depuis janvier 2025, selon les données du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires de l’ONU (OCHA).
Le dernier rapport onusien, publié ce 9 août 2025, révèle un mouvement massif de retour des déplacés internes en République Démocratique du Congo : près de deux millions de personnes ont retrouvé leur terre d’origine depuis le début de l’année. Derrière ce chiffre porteur d’espoir se cache une réalité géographique criante. Le Nord-Kivu concentre à lui seul 70% de ces retours, suivi du Sud-Kivu (502.000 personnes) et de l’Ituri (85.000 personnes). Ces provinces, épicentres des violences armées, voient enfin des familles entamer le périlleux chemin du retour.
Pourtant, cette lueur d’espoir ne doit pas masquer l’ampleur de la crise humanitaire qui persiste. Comment expliquer que 5,9 millions de déplacés internes errent encore à travers le pays ? L’OCHA dresse un constat accablant : l’Ituri et le Sud-Kivu abritent chacun 1,5 million de déplacés, tandis que le Nord-Kivu en compte encore un million. Les causes ? Une insécurité endémique, des tensions communautaires non résolues, et la présence de groupes armés qui rendent tout retour durable illusoire dans de nombreuses zones.
La crise humanitaire en Ituri illustre cette dualité. Si 85.000 déplacés sont rentrés, cinq fois plus (1,5 million) survivent dans des camps surpeuplés, dépendant entièrement de l’aide internationale. « Nous observons des retours spontanés dans des villages où les services de base sont inexistants », souligne un humanitaire sous couvert d’anonymat. « Sans écoles fonctionnelles ni centres de santé, sans semences pour relancer l’agriculture, ces retours précipités risquent de créer une nouvelle catastrophe. »
Le rapport de l’OCHA enfonce le clou avec des indicateurs qui glacent le sang : 27,7 millions de Congolais souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, soit un quart de la population. Pire encore, 4,5 millions d’enfants sont frappés par la malnutrition aiguë, une génération sacrifiée sur l’autel des conflits. Dans l’est du pays, des mères parcourent quotidiennement 15 km pour trouver de l’eau potable, tandis que les champs abandonnés durant l’exil ne produisent plus de quoi subsister.
Face à ce bilan contrasté, l’agence onusienne lance un cri d’alarme : les retours observés témoignent d’une fragile accalmie, mais ne signent pas la fin de l’urgence. « Ces chiffres traduisent la persistance de défis humanitaires majeurs nécessitant un soutien accru et continu », insiste le rapport. Alors que la saison des pluies approche, des milliers de familles revenues dans leurs villages risquent de basculer dans une précarité encore plus profonde sans soutien agricole et sanitaire immédiat.
La communauté internationale parviendra-t-elle à transformer ces retours timides en réinsertion durable ? La réponse se joue maintenant dans les terres rouges du Kivu et les savanes de l’Ituri, où chaque jour de répit est une victoire fragile contre le chaos. Derrière les statistiques se cachent des millions de destins suspendus entre l’espoir du retour et la peur de devoir fuir à nouveau.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: mediacongo.net