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« Génocost » vs « génocide » : que dit le droit ?

Introduction

Depuis plusieurs années, des voix militantes congolaises popularisent le terme « Génocost » pour qualifier les immenses atrocités subies par la population de la République démocratique du Congo (RDC) depuis la fin du XXᵉ siècle. Ce néologisme, formé à partir de génocide et cost (coût en anglais), dénonce un « génocide pour des gains économiques » – un crime de masse commis par appât du gain. Le 2 août 2023, la RDC a d’ailleurs commémoré pour la première fois ses millions de morts du “Genocost”, en présence du président Félix Tshisekedi, afin de mettre en avant un crime commis pour l’appât du gain.

Face à cette notion militante de génocide congolais, se dresse la définition juridique stricte du génocide établie par la Convention des Nations unies de 1948. Le droit international encadre étroitement l’usage du terme génocide, qui ne s’applique qu’à certaines catégories de crimes bien définis et exige la preuve d’une intention spécifique d’extermination d’un groupe protégé.

Dès lors, quelle est la différence entre le concept politique de “Génocost” et la notion légale de génocide ? Plus encore, une reconnaissance juridique du Genocost congolais est-elle envisageable devant une cour pénale internationale, au regard des critères d’intention, du seuil de preuve requis et des précédents historiques ? Cet article, à visée pédagogique, propose une comparaison claire entre ces deux notions et examine la faisabilité d’un procès international sur le “Genocost”.

« Génocost » : un concept militant pour un drame congolais

Le terme Génocost a été lancé par de jeunes activistes congolais de la diaspora au sein de la Congolese Action Youth Platform (CAYP). Leur initiative vise à faire reconnaître officiellement qu’un génocide a été commis contre le peuple de RDC, et à instaurer une journée de commémoration annuelle le 2 août en mémoire des victimes. D’après la cofondatrice de CAYP, Mimie Witenkate, l’idée est née du constat que « notre conflit est alimenté par la demande mondiale en électronique », sous-entendant que chaque téléphone ou ordinateur contient une part de ces minerais pour lesquels des millions de Congolais ont péri. Le néologisme Génocost explicite ainsi que ces massacres massifs sont motivés par l’avidité économique plutôt que par la haine identitaire : « Geno-Cost signifie “le génocide pour des gains économiques”. Nous avons choisi ce terme pour expliquer l’aspect économique du génocide en RDC, ce qui dévoile le discours trompeur soutenant que les conflits tribaux ou ethniques en seraient la cause première ». En d’autres termes, les militants du Génocost veulent mettre en lumière le pillage des ressources naturelles (coltan, or, etc.) comme moteur principal des tueries, là où certains observateurs n’y voient que des guerres “ethniques” locales.

Des massacres à répétition motivés par l’avidité

Les promoteurs du Génocost inscrivent leur combat dans une perspective historique. Ils rappellent qu’il ne s’agit pas d’un premier génocide au Congo : « le conflit actuel, qui a fait plus de six millions de morts, n’était pas le premier du genre au Congo », soulignent-ils. En effet, durant la période coloniale sous le roi Léopold II (1885–1908), l’exploitation effrénée du caoutchouc et d’autres ressources au Congo aurait causé la mort de 10 à 13 millions de Congolais, soit près de la moitié de la population de l’époque. Cette hécatombe coloniale, parfois qualifiée de génocide du caoutchouc, reste méconnue car longtemps effacée des programmes scolaires au profit d’une image “glorieuse” du roi bâtisseur. Plus d’un siècle plus tard, déplorent les militants, « l’histoire se répète » : depuis les années 1990, des millions de Congolais « payent de nouveau de leurs vies à cause de l’exploitation du coltan, de l’or et d’autres ressources naturelles ».

Les chiffres donnent le vertige. Les conflits en RDC, particulièrement dans l’est du pays (Ituri, Kivu, etc.), auraient causé plus de 6 millions de morts depuis 1996. Certaines estimations évoquent même jusqu’à 10 millions de victimes sur trois décennies de violences. À ces morts s’ajoutent des dizaines de milliers de femmes victimes de viols et mutilations systématiques, utilisés comme armes de guerre. Parmi les atrocités recensées figurent des massacres de civils, des campagnes de viol de masse, des déplacements forcés de populations entières et d’innombrables exactions commises par des milices, armées étrangères ou forces rebelles locales. La liste des conflits et massacres est longue : de la “deuxième guerre du Congo” (1998-2003) – surnommée la guerre mondiale africaine – aux affrontements entre groupes armés dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, en passant par les violences interethniques (Hema contre Lendu en Ituri, Twa contre Bantu au Tanganyika, Yaka contre Teke au Mai-Ndombe, etc.). Partout, l’horreur est survenue à une échelle inimaginable, si bien que nul Congolais n’a été épargné directement ou indirectement par ces tragédies.

Un « génocide congolais » aux yeux des victimes

Pour les partisans du Génocost, l’ampleur et la nature systématique de ces crimes équivalent bel et bien à un génocide dirigé contre le peuple congolais. Le groupe visé serait en l’occurrence la population nationale de RDC elle-même – cible d’atrocités en raison de la richesse de son sol. Juridiquement, la notion de génocide n’implique pas forcément une motivation raciale ou religieuse : les militants soulignent que même « pour des gains économiques », les crimes commis en RDC remplissent selon eux les critères du génocide. Ils se réfèrent explicitement au droit international : la campagne Genocost cite la définition onusienne du génocide (voir encadré ci-dessous) et affirme que « le viol systématique des femmes et des enfants congolais, le massacre de masse des civils et d’autres atrocités commises […] pour l’exploitation des ressources naturelles constituent un génocide » au sens de la loi.

Définition du génocide (Convention de 1948) : « On entend par génocide l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.»

Aux yeux des survivants congolais, cette définition s’applique pleinement à leur vécu : ils voient dans la multitude de massacres, de violences sexuelles et de déplacements forcés autant d’actes intentionnels visant à détruire une partie de la population congolaise, même si cette destruction sert des intérêts économiques. D’ailleurs, le gouvernement de la RDC lui-même commence à reprendre cette terminologie. Lors de la cérémonie du 2 août 2023 à Kinshasa, le conflit meurtrier des dernières décennies a été officiellement désigné comme « le génocide congolais » par les autorités présentes. Cette reconnaissance symbolique répond à un vœu des victimes, exprimé par des témoins comme Adrienne Kaseka (rescapée de deux vagues de viols pendant les guerres), qui a exhorté que « justice soit faite » et que l’État s’implique pour la réparation de « toutes les victimes ».

Néanmoins, si le terme Génocost s’impose peu à peu dans le discours militant et mémoriel congolais, il n’a pas de valeur juridique en soi. Pour que ces crimes soient reconnus et jugés comme génocide devant une cour de justice internationale, il faudrait satisfaire à des critères légaux très stricts. Or, la notion juridique de génocide, telle qu’élaborée après la Seconde Guerre mondiale, diffère sur plusieurs points de l’usage politique qui en est fait ici.

Le génocide en droit international : une définition étroite et exigeante

La qualification de crime de génocide repose sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’ONU en décembre 1948, à la suite de l’Holocauste. Ce traité international – inspiré par les travaux du juriste Raphael Lemkin – dresse les contours précis de la notion de génocide afin de la distinguer des autres crimes de masse. Comme indiqué dans l’encadré ci-dessus (article II de la Convention), cinq types d’actes peuvent constituer un génocide (meurtres, tortures ou blessures graves, conditions de vie meurtrières, mesures empêchant les naissances, transfert forcé d’enfants), à condition qu’ils soient commis avec une intention particulière : “détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé, en tant que tel”.

Cette intention spécifique de destruction d’un groupe, appelée intention génocidaire ou dolus specialis en droit pénal international, est l’élément mental central du crime de génocide. Elle implique que les auteurs des actes cherchent non pas seulement à tuer ou persécuter des individus, mais bien à éliminer un groupe humain identifié, en raison de l’appartenance de ses membres à ce groupe. Les groupes protégés par la Convention de 1948 sont limités aux groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. Notons que les groupes politiques ou sociaux n’ont pas été inclus dans la définition, certains États de l’époque (URSS et alliés) s’y étant opposés. Cette exclusion a des conséquences : par exemple, exterminer systématiquement les membres d’un parti politique ou les classes sociales d’un pays, aussi atroce cela soit-il, n’entre pas stricto sensu dans le génocide tel que défini en 1948.

En revanche, la population d’un pays – en tant que groupe national – est bien protégée par la Convention. Donc, en théorie, s’il était prouvé qu’un acteur (un État étranger, une organisation armée, etc.) a entrepris de détruire en tout ou en partie la nation congolaise, les faits pourraient être qualifiés de génocide. Mais ce qui complique la donne dans le cas du Congo, c’est d’apporter la preuve claire de cette intention exterminatrice, distincte d’autres mobiles comme l’occupation de territoires ou l’exploitation économique.

Une intention exterminatrice difficile à prouver

En droit, ce n’est pas le motif final (économique, politique, territorial…) qui compte, mais bien l’intention ciblée de détruire le groupe en tant que tel. Autrement dit, peu importe que les massacres soient commis pour s’approprier des richesses ou par haine ethnique : s’ils visent à anéantir un groupe national, cela relève du génocide. Toutefois, démontrer cette intention génocidaire s’avère redoutablement difficile dans la pratique judiciaire. Les tribunaux internationaux exigent un seuil de preuve très élevé : il faut que l’intention d’extermination soit « l’unique conclusion raisonnable qui puisse être déduite des actes commis ». En d’autres termes, il faut prouver que les massacres de civils ne peuvent s’expliquer que par la volonté délibérée d’éliminer le groupe, et non comme un sous-produit collatéral d’une guerre, d’une lutte de pouvoir ou d’une exploitation minière.

Ce critère restrictif a été réaffirmé, par exemple, par la Cour internationale de Justice (CIJ) en 2015 dans l’affaire Croatie c. Serbie. La CIJ y a jugé que malgré les atrocités commises durant la guerre de Yougoslavie, il n’était pas établi que celles-ci visaient l’éradication d’un groupe dans son ensemble ; elles pouvaient tout aussi bien être interprétées comme des violences “classiques” de la guerre visant à chasser une population d’une région stratégique, sans intention d’extermination totale. De même, concernant la RDC, on pourrait objecter que les crimes atroces commis par les belligérants visaient avant tout à contrôler des mines, des villages ou des provinces, et non à éradiquer le peuple congolais sur l’ensemble du territoire. Cette ambiguïté sur les intentions rend la qualification de génocide juridiquement hasardeuse.

En fait, la plupart des tragédies congolaises sont jusqu’ici rangées dans d’autres catégories de crimes internationaux. Le rapport “Mapping” des Nations unies (2010), qui a documenté les violences en RDC entre 1993 et 2003, a conclu que « la majorité des crimes documentés relevaient de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre ». Ce même rapport n’a soulevé la question du génocide que pour une série particulière de massacres en 1996-1997, et en des termes prudents : il évoque des éléments qui, « si prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide », tout en soulignant qu’il appartient à la justice d’en décider. Autrement dit, même l’ONU n’a pas affirmé explicitement qu’un génocide avait eu lieu au Congo ; elle a seulement pointé des indices inquiétants, notamment concernant des tueries de réfugiés rwandais hutus en RDC par des forces alliées à l’armée rwandaise, qui pourraient relever du génocide si une enquête judiciaire aboutissait. Jusqu’à présent, toutefois, aucune juridiction internationale n’a reconnu formellement un génocide en RDC. Les crimes commis pendant les guerres congolaises ont donné lieu à des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité (par exemple devant la Cour pénale internationale, qui a condamné plusieurs chefs de milice congolais), mais pas pour génocide – faute de preuve d’une intention d’anéantissement ciblant un groupe protégé.

Crimes contre l’humanité vs génocide : quelle différence ?

Il convient de souligner que qualifier ou non ces atrocités de génocide n’enlève rien à leur gravité. En droit international pénal, les crimes contre l’humanité englobent notamment le meurtre, l’extermination, l’esclavage, le viol, ou la persécution à grande échelle contre des populations civiles. Ces crimes, tout comme les crimes de guerre, sont passibles de poursuites et de lourdes peines. La différence, c’est que le génocide est plus strictement défini (il vise la destruction d’un groupe spécifique) et qu’il porte une charge symbolique particulière – souvent considéré comme “le crime des crimes” depuis le traumatisme de la Shoah. Par conséquent, des victimes ou des gouvernements éprouvent le besoin de voir reconnu ce terme pour qualifier leurs souffrances extrêmes. Le débat autour du Génocost illustre bien cette dimension : reconnaître un “génocide congolais” aurait une forte portée morale et politique, au-delà des qualifications juridiques existantes. Néanmoins, la prudence juridique pousse les institutions internationales à n’utiliser le mot génocide qu’avec parcimonie, lorsque l’intention exterminatrice ne fait quasiment aucun doute (comme ce fut le cas pour le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, ou celui de Srebrenica en 1995 reconnus par les tribunaux internationaux).

Vers une reconnaissance du Génocost en justice ?

La question cruciale est donc de savoir si le Génocost congolais, tel que dénoncé par les militants, pourrait faire l’objet d’un dossier recevable en droit international pénal. Autrement dit, peut-on envisager qu’une cour internationale (Cour pénale internationale, tribunal spécial ad hoc, etc.) juge un jour ces faits sous l’incrimination de génocide ? La faisabilité d’un tel procès dépend de plusieurs facteurs : la capacité à identifier des auteurs et des intentions génocidaires, la réunion de preuves solides, et les enseignements tirés de précédents judiciaires.

Qui pourrait être poursuivi et pour quel acte ?

D’un point de vue pratique, un génocide ne se poursuit pas de façon abstraite : il faut incriminer des individus précis (dirigeants, chefs militaires, responsables politiques) ou éventuellement engager la responsabilité d’États entiers (devant la CIJ) pour avoir commis ou laissé commettre le crime. Dans le cas du Congo, la nature complexe et multiforme des conflits rend la désignation de coupables plus ardue qu’au Rwanda par exemple, où un régime unique (le gouvernement intérimaire de 1994) avait orchestré le génocide. En RDC, les violences ont été le fait d’une myriade d’acteurs : factions rebelles congolaises, armées étrangères (notamment du Rwanda, de l’Ouganda, du Burundi), milices locales instrumentalisant des rivalités ethniques, sans compter la responsabilité historique des puissances coloniales et des intérêts économiques internationaux.

Pour bâtir un dossier de génocide, il faudrait cerner un contexte particulier où une intention génocidaire peut être mise en évidence. Par exemple, certains analystes ont pointé la campagne d’exactions menée en 1996-1997 par l’AFDL (rébellion congolaise soutenue par le Rwanda) contre les réfugiés hutus rwandais présents au Congo : cette campagne, qui visait systématiquement des populations civiles en raison de leur origine ethnique (hutu), pourrait correspondre à une logique génocidaire. Le rapport Mapping de l’ONU a d’ailleurs recommandé une enquête judiciaire approfondie sur ces événements. Cependant, aucune juridiction n’a encore instruit ce volet spécifiquement.

Dans un cadre plus large, les massacres de populations congolaises par divers groupes armés pourraient difficilement être rattachés à un même plan génocidaire unifié. Il est peu probable qu’un complot centralisé visant à détruire “le peuple congolais” tout entier puisse être documenté de manière convaincante. Les motivations économiques suggèrent plutôt une succession d’atrocités opportunistes pour s’emparer de zones riches en ressources, terroriser les habitants et profiter du chaos, plutôt qu’un programme d’extermination de l’ensemble d’une ethnie ou d’une nation. Cette dispersion des faits dans le temps, l’espace et entre différents protagonistes rend complexe l’attribution d’une intention génocidaire commune.

Toutefois, cela n’empêche pas la poursuite d’individus pour génocide à plus petite échelle, si des preuves directes émergent. Par exemple, si un chef de milice local a cherché à exterminer un groupe ethnique précis dans sa zone (les membres d’une communauté donnée) pour contrôler une mine, il pourrait théoriquement être poursuivi pour génocide contre ce groupe local. Mais à ce jour, les poursuites nationales et internationales (notamment par la Cour pénale internationale, CPI) ont préféré retenir des chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, jugés plus faciles à prouver. La CPI, qui enquête en RDC depuis 2004, a condamné plusieurs chefs de guerre congolais – Thomas Lubanga, Germain Katanga, Bosco Ntaganda – pour des atrocités (enrôlement d’enfants soldats, meurtres, viols, pillages…) sans jamais retenir la qualification de génocide dans ces affaires. Cela reflète le choix stratégique des procureurs : ils tendent à éviter l’accusation de génocide lorsque les éléments intentionnels risquent de faire défaut. Par exemple, en 2023, le procureur de la CPI a émis des mandats d’arrêt dans le contexte du conflit Israël-Hamas pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, et non pour génocide, en estimant que les chances de prouver un génocide étaient trop faibles au vu des standards requis. La même prudence prévaut pour la RDC : mieux vaut obtenir une condamnation pour crimes contre l’humanité (dont la définition plus large englobe les massacres à grande échelle de civils) que de risquer un acquittement faute de prouver l’intention spécifique de génocide.

Obstacles juridiques et précédents historiques

Plusieurs obstacles juridiques se dressent donc sur la route d’une reconnaissance du Genocost par un tribunal. D’abord, rassembler des preuves directes de l’intention génocidaire est un défi majeur. Les procès pour génocide réussis par le passé disposaient souvent de documents, discours ou ordres explicites montrant la volonté d’éliminer un groupe (par exemple, la propagande radio appelant à « tuer tous les Tutsi » au Rwanda, ou les plans organisés d’extermination des Juifs par les nazis). Dans le cas congolais, la documentation d’un tel plan concerté fait défaut, d’autant plus que nombre de crimes se sont déroulés loin des caméras, dans la jungle ou des villages reculés, sans traces écrites évidentes d’instructions génocidaires.

Ensuite, même si l’on prouve de nombreux massacres visant des Congolais, la défense des accusés arguera sans doute qu’il s’agissait de violences motivées par la conquête économique ou militaire, sans intention d’anéantir un groupe pour ce qu’il est. Comme l’a noté l’experte Ségolène Bosshard, « dans un contexte de violences armées, l’intention [génocidaire] est particulièrement difficile à démontrer : les meurtres de civils peuvent être retenus comme une conséquence de la guerre plutôt que celle d’une intention génocidaire ». Cette ligne de défense a par exemple conduit la CIJ à ne pas condamner la Serbie pour génocide en dehors de Srebrenica, estimant que les nettoyages ethniques ailleurs en Bosnie relevaient plus de la guerre “classique” que d’une volonté de détruire tout le groupe bosniaque.

Par ailleurs, les précédents judiciaires internationaux montrent que la reconnaissance du génocide est rare et porte souvent sur des situations très circonscrites. Combien de cas de génocide ont été reconnus par des tribunaux internationaux ? À ce jour, relativement peu : le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a condamné des responsables du génocide de 1994 contre les Tutsi, le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a établi le génocide de Srebrenica (massacre de plus de 8 000 Bosniaques en 1995), et plus récemment des juridictions ont retenu la qualification de génocide pour la persécution des Rohingya en Birmanie ou des Yazidis par Daech, mais ce sont des cas limités. Jamais encore un tribunal n’a jugé un conflit aussi diffus et prolongé que celui de RDC comme un génocide unique. La CIJ, de son côté, n’a jamais condamné un État pour génocide depuis l’entrée en vigueur de la Convention – elle a tout au plus sanctionné des États pour n’avoir pas empêché un génocide commis par d’autres (ex : la Serbie tenue responsable de n’avoir pas empêché le génocide de Srebrenica). Il faudrait donc un précédent inédit pour qualifier en justice internationale l’ensemble du drame congolais de génocide.

Enfin, il ne faut pas négliger les obstacles politiques. Poursuivre en justice certains acteurs impliqués dans les violences congolaises pourrait raviver des tensions régionales. Par exemple, accuser formellement des officiers rwandais ou ougandais de génocide en RDC aurait des répercussions diplomatiques majeures – or ces pays demeurent des voisins influents. De même, mettre en cause des grandes entreprises ou des intérêts étrangers complices du Génocost serait complexe. La priorité actuelle en RDC semble être davantage la réconciliation et la réparation des victimes que la mise en place d’un tribunal international, même si les deux ne sont pas incompatibles.

Justice et réparation : quelles perspectives ?

Malgré ces difficultés, les Congolais n’abandonnent pas la quête de justice. Si le génocide n’est pas (encore) juridiquement reconnu, des efforts sont faits pour que les victimes obtiennent réparation et que les crimes ne restent pas impunis. Sur le plan national, la RDC a adopté en décembre 2022 une loi de protection et d’indemnisation des victimes de violences liées aux conflits. Deux fonds publics ont été créés : un Fonds spécial pour les victimes des crimes commis par l’Ouganda en RDC (FRIVAO) – faisant suite à un arrêt de la CIJ ayant reconnu la responsabilité de l’Ouganda dans l’agression du Congo – et un Fonds national de réparations pour les victimes de violences sexuelles et autres crimes graves. Toutefois, fin 2023, les victimes attendent toujours les premières indemnisations effectives et déplorent la lenteur du processus.

Sur le plan international, la Cour pénale internationale poursuit ses enquêtes en RDC, et pourrait à l’avenir inculper d’autres responsables si de nouvelles preuves émergent. Par ailleurs, la possibilité de recourir à la compétence universelle existe : tout État peut théoriquement poursuivre des auteurs de génocide présents sur son sol, en vertu de la Convention de 1948. Certains pays, comme la Suisse, ont intégré le génocide dans leur droit pénal interne et se déclarent compétents pour juger des génocidaires quels que soient le lieu des faits. Cela offre une voie alternative si des suspects du Génocost voyagent à l’étranger, même si cela reste hypothétique et diplomatiquement sensible.

Conclusion

En définitive, la notion militante de « Génocost » traduit la volonté des Congolais de nommer et dénoncer l’horreur indicible qu’ils ont subie depuis des décennies – une horreur motivée par la cupidité et l’exploitation de leurs richesses, et non reconnue à sa juste mesure par la communauté internationale. Ce terme choc vise à marquer les esprits, à rappeler que le Congo a vécu un véritable calvaire humain dont le bilan rivalise avec celui des plus grands génocides du XXᵉ siècle. Du point de vue juridique, cependant, le qualificatif de génocide obéit à des critères stricts établis par le droit international. Comparé à la flexibilité du langage militant, le droit se montre plus rigide : il requiert la preuve d’une intention délibérée d’éliminer un groupe protégé, preuve qui manque cruellement dans le puzzle congolais morcelé.

Pour l’heure, aucun tribunal international n’a retenu la qualification de génocide pour les tragédies de RDC, et il serait hasardeux d’affirmer qu’un procès du Génocost aboutisse un jour sous cette incrimination. Cela n’ôte rien à la légitimité du combat des victimes congolaises : elles ont raison d’exiger vérité, justice et mémoire pour les atrocités commises. Que ces crimes soient juridiquement reconnus comme crimes contre l’humanité ou qu’un jour lointain l’histoire les consacre comme génocide, l’essentiel est que le monde n’oublie pas les millions de vies fauchées au Congo et qu’il apprenne de ces drames.

En somme, « Génocost » et génocide ne sont pas des notions opposées mais deux perspectives sur une même réalité atroce. L’une est politique et morale, l’autre légale et technique. L’une clame une vérité ressentie : un peuple a été détruit pour du profit. L’autre exige une démonstration rigoureuse difficile à apporter dans ce contexte. Entre les deux, il y a les victimes, qui elles, au-delà des mots, aspirent à ce que justice soit rendue et que plus jamais pareille tragédie ne se reproduise. C’est là tout l’enjeu : nommer le mal pour mieux le combattre, sans galvauder les termes du droit, afin que reconnaissance et justice aillent de pair.

Sources

  • 【12†】 Genocost.org – « Que savoir du Geno-Cost ». Page de présentation de l’initiative Geno-Cost, Plateforme d’actions des jeunes Congolais (consultée en 2025).
  • 【4†】 Justice Info, Caleb Kazadi – « À quand les réparations pour les victimes congolaises du “Genocost” ? », article du 31 août 2023.
  • 【7†】 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ONU, 1948) – Définition du génocide (Article 2) citée via Wikipédia.
  • 【11†】 Human Rights WatchQ&R sur le rapport Mapping de l’ONU relatif aux crimes en RDC (1993-2003), 1ᵉʳ octobre 2010.
  • 【15†】 Ségolène Bosshard (Foraus) – « La justice internationale face au génocide, cette notion protéiforme », 3 juin 2024, analyse des défis juridiques pour prouver le génocide (extraits sur l’intention et le standard de preuve).

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Natasha Shama
Natasha Shama
Juriste passionné par le Droit, Natacha Shama est diplômée en droit public de l'université de Lubumbashi
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