Dans une salle de Kigali où résonnent les échos d’un passé douloureux, Pascaline, déléguée venue de Bukavu, serre la main de sa voisine rwandaise. Un geste simple, mais lourd de sens dans cette région des Grands Lacs meurtrie par des décennies de violences. « Nos enfants méritent un avenir sans kalachnikovs », murmure-t-elle, les yeux rivés sur les drapeaux entrelacés du Burundi, de la RDC et du Rwanda. Comme 59 autres femmes, elle participe depuis le 27 juillet à un forum femmes paix Afrique centrale historique, orchestré par l’Association des Conférences Épiscopales d’Afrique Centrale (ACEAC).
Cette rencontre, qualifiée de « pèlerinage pour la paix » par l’abbé Jean-Pierre Badidike, secrétaire général de l’ACEAC, puise sa force dans les communautés locales. « L’objectif est triple », explique-t-il : « renforcer la cohésion transfrontalière entre les femmes engagées, prouver qu’on peut bâtir des ponts entre nos peuples, et booster leurs capacités de plaidoyer pour la justice ». Une mission urgente dans un espace où les conflits armés ont fracturé le tissu social. Peut-on vraiment parler de cohésion sociale quand des familles se déchirent pour des terres ou des minerais ? La réponse se forge ici, dans le dialogue obstiné de ces déléguées.
Le forum s’inscrit dans une dynamique concrète initiée par les diocèses frontaliers, ces laboratoires vivants de réconciliation. Il matérialise aussi une résolution clé des évêques d’Afrique centrale adoptée à Rome en octobre 2024, exigeant une participation accrue des femmes aux processus de paix. Un virage stratégique : qui mieux que ces mères, souvent premières victimes des guerres mais piliers invisibles des communautés, peut incarner l’espoir d’une réconciliation transfrontalière ?
En marge des assises du comité permanent de l’ACEAC, les participantes ont lancé un message unanime aux évêques, résumé par l’abbé Badidike : « Notre attachement à la paix est viscéral – c’est celle du cœur qui bat pour nos villages, des communautés assoiffées de stabilité, et des échanges apaisés entre nos pays ». Un cri du cœur qui résonne comme un défi aux clivages politiques.
Derrière les discours, des réalités tangibles émergent. Au Rwanda, des coopératives agricoles transfrontalières pilotées par des femmes réduisent la pauvreté tout en désamorçant les tensions. En RDC, des groupes de plaidoyer femmes documentent les violences pour exiger justice. Et si l’avenir de l’Afrique centrale se jouait dans ces micro-initiatives ? Le pari de l’ACEAC est audacieux : transformer ces 60 déléguées en ambassadrices capables d’essaimer des projets concrets – jardins de paix interethniques, dialogues interreligieux, ou systèmes d’alerte précoce aux conflits.
Pourtant, l’ombre des défis plane. Comment pérenniser ces efforts quand les financements manquent et que les groupes armés rôdent encore ? L’abbé Badidike reste optimiste : « Leur force réside dans leur ancrage local. Elles parlent le langage des marchés et des églises, pas celui des chancelleries ». Cette rencontre de Kigali n’est qu’une étape, mais elle sème des graines de paix que même les frontières ne pourront étouffer. La vraie victoire ? Voir ces femmes, hier séparées par des barbelés, marcher main dans la main vers demain.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net