L’âme de Kinshasa s’étiole dans l’indifférence quasi-générale. Comme des lumières qui s’éteignent une à une, les centres culturels de la capitale congolaise – ces cathédrales de l’imaginaire et du vivre-ensemble – tombent en ruine sous le poids d’une négligence institutionnelle insondable. La récente disparition du centre Aw’art à Bandalungwa et du pôle Miezi à Kasa-Vubu vient allonger la liste funèbre des espaces sacrifiés : K-Mu Théâtre, Centre Spin, Espace SADI… Autant de sanctuaires où battait le cœur créatif d’une nation.
Qui mesurera l’ampleur du désastre ? Ces lieux n’étaient pas de simples bâtiments, mais des laboratoires où se recomposait le tissu social déchiré. À Synkin, le Théâtre Les Béjarts avait métamorphosé d’anciens « Zoulous » en artisans de la scène. À N’djili, le CIAJ du Théâtre des Intrigants continue, contre vents et marées, d’offrir aux jeunes un horizon autre que la rue. Ces centres culturels de Kinshasa, implantés dans les quartiers populaires, incarnaient une utanie concrète : l’art comme antidote à la violence, la culture comme ciment national.
Pourtant, l’État reste sourd aux cris d’alarme. La loi sur le statut d’artiste et l’ordonnance n°25/030 du 12 mars 2025 dorment dans les tiroirs ministériels, beaux principes sans financement. Le programme de maisons de la culture dans les 145 territoires – pièce maîtresse du PDL-145T – ressemble à un mirage dans le désert de l’inaction gouvernementale. Un an après l’installation du gouvernement Suminwa, où sont les premiers pas concrets ?
La fermeture des éditions Miezi symbolise cette hémorragie intellectuelle. Bien que la maison d’édition survive, son espace physique – cette agora où se brassait les idées – est perdu. Comment construire une mémoire collective sans ces lieux de transmission ? Les livres ont beau résister, sans librairies de quartier, sans bibliothèques accessibles, la pensée s’appauvrit. La crise des lieux culturels en RDC n’est pas qu’une question de murs : c’est un appauvrissement de l’âme nationale.
L’argument des conflits à l’Est, brandi comme un bouclier, ne résiste pas à l’examen. D’autres secteurs reçoivent des investissements colossaux tandis que la culture mendie des subsides. Où sont les mécanismes de financement pérennes ? Pourquoi laisser mourir ces partenaires naturels de l’État dans l’éducation et la cohésion sociale ? La fermeture des centres culturels à Kinshasa révèle une cécité politique face au pouvoir transformateur de l’art.
Le drame est économique autant que culturel. Chaque espace fermé, c’est des dizaines d’artistes privés de moyens de subsistance, des centaines de jeunes sans alternatives. La démocratisation culturelle au Congo se heurte à un mur d’indifférence. Pourtant, ne dit-on pas que les peuples sans culture sont des peuples sans avenir ? À Bandalungwa comme à Kasa-Vubu, les murs désertés racontent l’échec d’une ambition : faire de la culture le quatrième pilier du développement.
La survie de ce qui reste tient du miracle congolais – cette résilience qui défie la logique. Mais jusqu’à quand ? Sans urgence absolue, sans plan de sauvetage concret, Kinshasa risque de devenir une capitale sans âme, spectatrice impuissante de son propre appauvrissement symbolique. Le temps n’est plus aux incantations, mais à l’action. Car lorsque meurent les lieux de culture, c’est une part essentielle de nous-mêmes qui disparaît.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc