La République démocratique du Congo devient l’épicentre d’une confrontation économique aux implications géopolitiques majeures. Chemaf Resources, fleuron minier congolais spécialisé dans l’extraction de cuivre et de cobalt, cristallise désormais la rivalité sino-américaine pour le contrôle des ressources critiques. Un consortium américain piloté par Orion Resource Partners et Virtus Minerals, où figurent d’anciens membres des forces spéciales et de la CIA, négocie activement le rachat de cette pépite minière, quelques mois après l’échec retentissant d’une tentative d’acquisition par le géant chinois Norinco.
Chemaf Resources représente un enjeu stratégique disproportionné pour sa taille. Fondée il y a plus de deux décennies par l’homme d’affaires Shiraz Virji, la société exploite les mines d’Étoile et Mutoshi dans la riche province du Lualaba. Le projet Mutoshi, une fois opérationnel, promet une production annuelle de 50 000 tonnes de cuivre et 16 000 tonnes de cobalt, plaçant Chemaf parmi les dix premiers producteurs mondiaux de ce métal critique. Cette position devient cruciale quand on sait que la RDC détient près de 70% des réserves mondiales de cobalt, minerai indispensable aux batteries lithium-ion des véhicules électriques.
L’échec chinois : un tournant géoéconomique
En mars 2025, la transaction entre Chemaf et Norinco, filiale du géant industriel et militaire chinois, capote spectaculairement malgré un accord initial de 1,4 milliard de dollars. L’opposition conjointe des autorités congolaises et de Gécamines, la compagnie minière étatique, révèle un changement de paradigme. « Kinshasa cherche à rééquilibrer ses partenariats miniers après des années de domination chinoise écrasante », analyse Thierry Ulimwengu, économiste spécialiste des ressources naturelles. Le refus congolais s’explique aussi par le profil sensible de Norinco, lié à l’appareil militaro-industriel chinois, suscitant des inquiétudes sécuritaires.
La dette colossale de Chemaf, évaluée à 900 millions de dollars, transforme cette bataille en course contre la montre. L’entreprise peine à financer ses opérations courantes et le développement du gisement de Mutoshi, nécessitant un repreneur disposant de liquidités immédiates. C’est dans ce contexte que le consortium américain entre en scène avec une proposition structurée : Orion apporterait les capitaux (le fonds gère 8 milliards d’actifs) tandis que Virtus Minerals, dirigée par d’anciens membres des forces spéciales, prendrait en charge la sécurité opérationnelle.
Le consortium américain : une réponse sécurisée aux enjeux miniers
La composition du groupe américain interpelle par son caractère sécuritaire. Gregory Roberts, président de Virtus, est un ancien officier de la CIA ayant conseillé la Commission du Renseignement du Congrès. Son directeur général, Phil Braun, est membre actif des Bérets Verts. Cette configuration répond à la complexité du terrain congolais, particulièrement dans l’Est du pays où persistent des conflits armés. « Washington militarise sa stratégie d’accès aux minerais critiques », décrypte le chercheur en géopolitique des ressources Emmanuel Kambale. « Après avoir dépendu de chaînes d’approvisionnement vulnérables, les États-Unis déploient une approche intégrée combinant investissement et expertise sécuritaire ».
Cette offensive américaine s’inscrit dans le cadre plus large des négociations entre Washington et Kinshasa pour un partenariat stratégique sur les minerais critiques. Les discussions, dont la finalisation est attendue pour l’été 2025, portent sur le cuivre, cobalt, lithium et tantale. L’accord envisagé créerait un cadre privilégié pour les investissements américains, combinant garanties politiques et avantages fiscaux. Une manière de contrer l’influence chinoise qui contrôle encore environ 70% de la production congolaise de cuivre et cobalt.
Conséquences économiques pour la RDC
Cette rivalité présente des opportunités inédites pour la RDC. La concurrence entre superpuissances permet à Kinshasa d’exiger des contreparties plus substantielles : « Nous négocions désormais sur la base de 30% de participation gratuite de l’État dans les nouveaux projets miniers, contre 10% auparavant », précise un négociateur ministériel sous couvert d’anonymat. Le pays exige également des engagements fermes sur le traitement local des minerais et le développement d’infrastructures.
Mais cette situation comporte des risques. La dépendance aux cours mondiaux des métaux rend l’économie congolaise vulnérable aux fluctuations. Le cobalt a perdu 60% de sa valeur depuis son pic de 2022, fragilisant les opérateurs locaux. Par ailleurs, la surenchère géopolitique pourrait exacerber les tensions régionales dans une zone déjà instable. « La course aux minerais stratégiques congolais doit s’accompagner d’une gouvernance renforcée pour éviter que les ressources ne nourrissent les conflits », met en garde Julien Paluku, ancien ministre de l’Industrie.
Implications mondiales et perspectives
L’issue de la bataille pour Chemaf aura des répercussions bien au-delà des frontières congolaises. Une victoire américaine signifierait une percée significative dans un bastion traditionnel de l’influence chinoise en Afrique. À l’inverse, un retour de Pékin avec une offre améliorée confirmerait sa résilience. Certains observateurs évoquent même l’émergence possible d’un tiers acteur, comme un consortium européen, pour briser le duel bipolaire.
Cette affaire illustre surtout la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales. Avec la transition énergétique, les minerais stratégiques comme le cobalt deviennent des instruments de puissance. « Qui contrôle les minerais congolais contrôlera une partie clé de l’économie décarbonée », résume la spécialiste des matières premières Sarah Decker. La production mondiale de cobalt devrait augmenter de 150% d’ici 2035 pour répondre à la demande des constructeurs automobiles électriques, faisant de la RDC un acteur incontournable de la géoéconomie du XXIe siècle.
Pour la RDC, le défi consiste à transformer cette manne en développement durable. Les revenus miniers représentent déjà 30% du PIB national, mais leur impact sur les populations locales reste limité. L’actuelle bataille pour Chemaf démontre que le pays dispose désormais d’un levier de négociation inédit. Reste à savoir si Kinshasa saura l’utiliser pour briser la malédiction des ressources et écrire enfin une nouvelle page de son histoire minière.
Article Ecrit par Amissi G