La République démocratique du Congo (RDC) est devenue le théâtre d’une compétition stratégique grandissante entre les États-Unis et la Chine. Des initiatives récentes témoignent de l’intérêt accru de Washington pour ce pays riche en minerais critiques (cobalt, cuivre, lithium…), avec en ligne de mire la volonté de réduire l’avance prise par Pékin. En effet, les entreprises chinoises dominent depuis des années le secteur minier congolais, contrôlant environ 80 % de l’activité minière dans le pays. Face à cette emprise, les Américains multiplient les projets – dans les mines, les télécoms ou les infrastructures – s’inscrivant explicitement dans une stratégie visant à contrecarrer la position dominante de la Chine sur les minéraux stratégiques en Afrique. Cette rivalité émergente, si elle est habilement gérée par Kinshasa, pourrait ouvrir de nouvelles opportunités bénéfiques pour le développement du Congo.
Multiplication des initiatives américaines en RDC
Washington a récemment lancé ou soutenu plusieurs projets majeurs en RDC, illustrant son retour en force dans des secteurs clés :
- Mines stratégiques : Le cas emblématique est celui de Chemaf, producteur de cobalt et cuivre. En mars 2025, Chemaf a annulé sa vente au groupe chinois Norinco, la société ayant échoué à obtenir l’aval de Kinshasa – un échec salué comme une victoire des efforts américains pour desserrer l’emprise de la Chine sur ces minerais critiques. Des sources indiquent même que les États-Unis avaient encouragé le gouvernement congolais à bloquer ce rachat par la Chine. Dans le sillage de cet épisode, un consortium d’investisseurs américains (le fonds Orion et la société Virtus Minerals, associant d’anciens militaires) s’est positionné pour acquérir Chemaf. Cette tentative d’entrée américaine dans le cobalt congolais « s’aligne sur la volonté de Washington de réduire la domination chinoise » dans les chaînes d’approvisionnement stratégiques.
- Télécommunications : Le secteur des télécoms voit également une empreinte américaine grandissante. L’opérateur Africell, actif en RDC depuis 2021, bénéficie d’un fort soutien de Washington. L’agence publique U.S. EXIM Bank a ainsi annoncé un financement de 100 millions $ pour permettre à Africell d’étendre son réseau mobile (notamment en Angola voisin) et de moderniser ses infrastructures en RDC. Déjà en 2018, Africell avait obtenu un prêt de 100 millions $ de la part de la DFC (U.S. International Development Finance Corporation) pour appuyer sa stratégie d’expansion. Considéré comme le seul opérateur « américain » en Afrique, Africell est vu comme un acteur stratégique pour les États-Unis le long du corridor économique qui traverse le Congo, dans une logique de connectivité régionale et de concurrence implicite avec les équipementiers chinois (très présents dans les réseaux africains). Le renouveau d’Africell en RDC – appuyé par des fonds américains – illustre ainsi « la lutte d’influence entre Washington et Pékin sur le continent », notait Jeune Afrique dès 2021.
- Infrastructures et transports : Les États-Unis investissent aussi dans des projets d’infrastructure emblématiques en RDC. Le gouvernement congolais a relancé la construction d’un nouveau terminal à l’aéroport international de N’djili (Kinshasa) – un chantier de 570 millions $ confié en 2025 à l’entreprise américaine Skidmore, Owings & Merrill (SOM). Pour la ministre des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba, voir « une entreprise de renommée américaine s’investir dans ce projet d’une telle symbolique » montre que le partenariat RDC–USA va « bien au-delà […] des minerais stratégiques ». De même, Washington s’implique dans le corridor de Lobito – un ambitieux réseau ferroviaire et routier reliant les régions minières du Katanga au port angolais de Lobito. Un conseiller de la Maison Blanche a confirmé en 2025 le soutien américain aux infrastructures congolaises le long de ce corridor (chemin de fer, routes, énergie), avec pour objectif affiché de faciliter l’exportation des ressources minières congolaises « en particulier vers les États-Unis », tout en améliorant localement le transport et l’économie.
- Métaux pour la transition énergétique : La ruée américaine s’étend aux nouveaux minerais stratégiques. Le lithium, composant clé des batteries, en est un exemple. Le 18 juillet 2025, Kinshasa a signé un accord de principe avec la société californienne KoBold Metals (soutenue par Bill Gates et Jeff Bezos) pour explorer et développer le gigantesque gisement de lithium de Manono. Cet accord – qualifié de « partenariat stratégique ouvrant la voie à l’investissement américain » par la présidence congolaise – concerne l’un des plus grands gisements de lithium au monde, un projet de mine à longue durée de vie dans la province du Tanganyika. KoBold s’est engagé à déployer des technologies de pointe (exploration assistée par intelligence artificielle, digitalisation des données géologiques, etc.) pour valoriser ces ressources. Là encore, l’initiative s’inscrit clairement dans la stratégie de Washington de contrer la dominance chinoise sur les minéraux d’avenir en RDC. Notons qu’au même moment, la société chinoise Zijin Mining convoitait également le lithium de Manono : l’arrivée de KoBold montre la volonté de Kinshasa de « rouvrir le jeu » à de nouveaux partenaires.
- Paix et minerais dans l’Est : Même le dossier ultrasensible de la sécurité à l’Est du Congo se double d’enjeux miniers et économiques impliquant les Américains. Alors que les États-Unis parrainent des négociations de paix entre la RDC et le Rwanda (concernant la rébellion du M23 au Nord-Kivu), des intérêts privés proches de Washington se positionnent sur les ressources locales. Un consortium mené par Gentry Beach – homme d’affaires texan et allié de Donald Trump – négocie ainsi la reprise de la mine de coltan de Rubaya (Masisi, Nord-Kivu), l’un des plus importants gisements mondiaux de coltan (minerai stratégique pour les composants électroniques). D’après le Financial Times, le président Félix Tshisekedi aurait proposé à l’administration Trump l’accès à des actifs miniers clés (comme Rubaya) en échange d’une aide américaine pour écraser la rébellion du M23 et stabiliser l’est du pays. Le projet Rubaya, évalué à plus de 500 millions $ d’investissements, serait intégré à l’accord de paix en gestation : des financements et infrastructures américains viendraient soutenir la reconstruction post-conflit, en contrepartie d’une exploitation conjointe des ressources – une approche « transactionnelle » assumée, conçue comme un contrepoids à l’influence chinoise dans la région. Ce schéma illustre à quel point diplomatie, sécurité et minerais sont désormais liés au Congo, avec les États-Unis désireux de jouer un rôle sur tous ces fronts.
Face à la domination chinoise dans les mines
Si les Américains manifestent un tel activisme, c’est qu’ils font face à un ancrage chinois très solide en RDC. Depuis les années 2000, la Chine a massivement investi dans les mines et les infrastructures congolaises, obtenant des droits miniers en échange de financements. Le symbole en est le fameux « contrat Sino-Congolais » signé en 2008 sous Joseph Kabila : ce partenariat « minerais contre infrastructures », porté par le consortium Sicomines, promettait 6 milliards de dollars de travaux (routes, hôpitaux, etc.) financés par des entreprises d’État chinoises, en échange de concessions cuprifères et cobaltifères. À la faveur de tels accords, les compagnies chinoises se sont taillé la part du lion : elles exploitent la majorité des grands gisements de cuivre et de cobalt du pays (via des sociétés comme China Molybdenum/CMOC, Zijin, Sinohydro, etc.), fournissant par exemple une part prépondérante du cobalt mondial. En 2023, la RDC a ainsi assuré ~40 % de la production mondiale de coltan et reste le premier producteur de cobalt – des filières largement contrôlées par des groupes chinois. Aujourd’hui, environ 80 % du secteur minier congolais est aux mains d’intérêts chinois, tandis que Pékin s’est imposé comme le financier de référence des grands projets d’infrastructure en Afrique (barrages, chemins de fer, ports…).
Cette prédominance chinoise, parfois critiquée pour son opacité, est désormais remise en question à Kinshasa. Le président Tshisekedi cherche à renégocier certains accords jugés déséquilibrés : par exemple, il réclame une rallonge de 17 milliards $ d’investissements dans le cadre de la convention Sicomines, estimant les retombées pour la RDC insuffisantes jusqu’à présent. De plus, le gouvernement n’hésite plus à mettre en concurrence les offres chinoises et occidentales. L’abandon de la cession de Chemaf à Norinco (et l’option d’un repreneur américain) illustre cette nouvelle donne, tout comme l’ouverture du projet Manono à KoBold après des contentieux impliquant un partenaire chinois. Autrement dit, la RDC profite de l’intérêt américain pour diversifier ses partenaires, là où pendant des années la Chine apparaissait presque incontournable.
Une compétition profitable au développement congolais ?
Pour Kinshasa, la rivalité sino-américaine peut représenter une chance de tirer de meilleurs bénéfices de ses ressources et d’accélérer son développement. D’une part, l’afflux de nouveaux projets financés par les États-Unis apporte des investissements frais dans des secteurs variés : construction d’un aéroport moderne, amélioration du réseau télécom, chemins de fer et routes pour désenclaver les zones minières, etc. Ces initiatives complètent (ou corrigent) les projets réalisés avec l’aide chinoise. Par exemple, l’appui américain au corridor de Lobito et à d’autres infrastructures vise non seulement à faciliter l’exportation du cuivre et du cobalt vers les marchés occidentaux, mais aussi à stimuler l’économie locale, créer des emplois et renforcer la stabilité dans les provinces minières. Une meilleure infrastructure de transport et d’énergie peut aider à désenclaver l’est du Congo, réduisant les frustrations économiques qui alimentent les conflits.
D’autre part, en jouant sur plusieurs tableaux géopolitiques, la RDC augmente son poids dans les négociations. Désormais, le gouvernement congolais peut comparer les offres chinoises et américaines, et négocier des termes plus avantageux. Chaque puissance courtise Kinshasa avec des promesses : Pékin a dû accepter l’idée de renégocier certains accords miniers, tandis que Washington propose ouvertement son soutien sécuritaire en échange d’un accès privilégié aux minerais. En effet, dès février 2025, le Congo a offert aux États-Unis un accès exclusif à certains gisements et projets d’infrastructures en contrepartie d’une assistance sécuritaire face à la rébellion du M23. Ce partenariat « minerais contre sécurité » inédit démontre comment les autorités congolaises tentent de convertir la convoitise internationale de ses ressources en gains concrets pour la paix et la sécurité du pays.
Les signaux positifs ne manquent pas du côté congolais. Les autorités accueillent favorablement l’implication américaine, y voyant un rééquilibrage bienvenu. « La RDC, riche en cobalt, cuivre, tantale et or, cherche à attirer les investissements occidentaux après des années de sous-développement et d’exploitation étrangère », rappelle une analyse géopolitique récente. Diversifier les investissements et partenaires devrait permettre au Congo de moins dépendre d’un seul pays et d’éviter les écueils passés. Le rapprochement avec Washington offre en outre une coopération plus large (formations, assistance technique, aide au renforcement institutionnel) que de nombreux officiels congolais appellent de leurs vœux pour améliorer la gouvernance du secteur minier. Signe de cette ouverture, la RDC a intégré en 2023 l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et promet davantage de transparence dans les contrats – un clin d’œil aux attentes occidentales en la matière.
Pour autant, cette compétition ne signifie pas l’éviction totale de la Chine. Pékin reste un partenaire essentiel, avec des décennies de présence et des capacités de financement colossales. « Washington ne sera jamais en mesure de remplacer Pékin dans son rôle de grand financier d’infrastructures », note un expert, rappelant que la Chine demeure le poids lourd de l’industrie minière congolaise. L’idéal pour Kinshasa sera donc de maintenir un équilibre entre les deux puissances, en tirant profit des atouts de chacune. Dans ce jeu d’influence, la concurrence peut servir le Congo : mise en concurrence des investisseurs pour obtenir de meilleures conditions, doublement des sources de financement pour les projets de développement, et possibilité de basculer vers l’un ou l’autre en fonction des intérêts nationaux.
En conclusion, la rivalité sino-américaine place la RDC dans une position stratégique inédite. Convoitée de toutes parts pour ses richesses, la nation congolaise a l’opportunité de transformer cette bataille pour l’accès aux ressources en gains tangibles pour sa population. Réseaux de transport modernisés, nouvelles technologies d’exploration, emplois locaux, aide à la sécurité – autant de retombées potentielles si les accords sont bien négociés et exécutés. Il appartiendra aux dirigeants congolais de veiller à ce que cette compétition géopolitique se traduise en partenariats durables et en développement inclusif, plutôt qu’en pillage ou en dépendances déguisées. « Le temps dira qui sont les meilleurs partenaires du Congo », déclarait récemment le conseiller américain Massad Boulos. À Kinshasa de faire en sorte que les meilleurs partenaires soient surtout ceux du peuple congolais.