Les cris déchirants résonnaient encore ce mardi matin sur la route de Matadi. Au milieu d’une mare d’essence et de débris métalliques, les corps de quatre victimes gisaient sous des bâches improvisées, tandis que des vendeurs en larmes tentaient de récupérer leurs marchandises éparpillées. « Je vendais des beignets quand j’ai vu ce camion dévaler comme un bolide », témoigne Mukendi, tremblant devant son étal réduit en miettes. « Il a emporté tout sur son passage : des clients, des motos, des caisses de tomates… »
Selon les autorités communales de Mont Ngafula, ce nouvel accident mortel sur la route de Matadi trouve son origine dans une défaillance technique fatale : une panne de frein sur un poids lourd venu du Kongo-Central. En pleine descente du tronçon accidentogène de Matadi Kibala, le véhicule hors de contrôle a transformé cette artère commerciale en couloir de la mort, percutant plusieurs autres engins avant de faucher des dizaines de vendeurs installés en bordure de chaussée.
Le quartier Matadi Kibala, théâtre de ce drame, illustre un paradoxe congolais criant. Cette zone où se concentre une intense activité économique informelle voit quotidiennement des centaines de commerçants s’installer à même la route, entre flaques d’huile et nids-de-poule. « C’est notre gagne-pain, mais chaque jour ressemble à une partie de roulette russe », confie Mama Léontine, vendeuse de poisson depuis quinze ans sur ce secteur. Comment expliquer que malgré les mises en garde répétées – comme celle du Premier Ministre Sama Lukonde en février 2022 pointant les « risques énormes » de ce marché anarchique – aucune solution pérenne n’ait été trouvée ?
Derrière cette tragédie routière à Kinshasa se profile une double crise structurelle. D’abord, la vétusté alarmante du parc automobile : sur les 100 véhicules contrôlés mensuellement par la police routière, seuls 23% présentent des freins conformes aux normes. Ensuite, l’urbanisation sauvage qui transforme les emprises routières en zones de non-droit. « Les riverains construisent des étals jusqu’à moins d’un mètre de la chaussée », déplore un agent de la Direction de la Voirie. « En cas d’accident comme celui de Matadi Kibala, ces occupations illicites transforment la route en piège mortel. »
Alors que les blessés étaient évacués vers l’hôpital général de Kintambo, une question brûlante s’impose : jusqu’à quand la RDC tolérera-t-elle ces routes devenues des couloirs de la mort ? Chaque année, près de 3 500 Congolais périssent dans des accidents de circulation, souvent liés à des pannes mécaniques évitables et à l’absence de régulation urbaine. Ce drame de Matadi Kibala sonne comme un sinistre rappel : sans politique volontariste pour moderniser le transport et réorganiser l’espace public, les descentes de Kinshasa continueront d’être irriguées par le sang des plus vulnérables.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net