Les femmes de Bakua Mulumba marchent chaque jour vers la rivière, un seau à la main, ignorant si elles en reviendront vivantes. Dans cette chefferie reculée de la province de Lomami, le simple geste de puiser de l’eau se transforme en course contre la mort. « Combien de mères doivent encore être dévorées par les crocodiles avant qu’on nous écoute ? » interroge, la voix nouée, Frédéric Balonji Katanda, grand chef de Bakua Mulumba. Cet appel déchirant a retenti lors des célébrations du 75e anniversaire de l’entité traditionnelle, un événement historique présidé par le vice-gouverneur Célestin Kayembe.
À 45 kilomètres du territoire de Ngandajika, la chefferie Bakua Mulumba étouffe dans son isolement. La route Tshikuyi-Ngandajika, véritable colonne vertébrale économique, n’est plus qu’un chemin de boue impraticable pendant la saison des pluies. « Sans cette voie, nos récoltes pourrissent sur place et nos malades meurent avant d’atteindre l’hôpital », déplore le chef Balonji devant une assistance de ressortissants venus de toute la RDC. Son plaidoyer urgent pour la réhabilitation de cette artère vitale résonne comme un cri d’alarme pour toute la région.
Mais le drame le plus insoutenable reste ces attaques de crocodiles qui terrorisent les communautés riveraines. Le manque de forages d’eau dans les dix groupements contraint des centaines de femmes à s’exposer quotidiennement au fleuve, transformé en piège mortel. « Installer des points d’eau potable n’est pas un luxe, c’est une question de survie humaine », insiste l’autorité coutumière. Cette demande rejoint le thème des festivités : « Regards croisés sur le passé, le présent et le futur de la chefferie Bakua Mulumba ».
Odia Musungayi, coordonnateur des célébrations, voit dans ce 75e anniversaire un tournant décisif : « Ce thème nous invite à revisiter notre histoire glorieuse pour bâtir un avenir où notre culture et notre agriculture deviendront les piliers du développement. » Les festivités ont rassemblé des centaines de personnes, scellant un engagement collectif pour transformer cette chefferie ancestrale. Pourtant, derrière l’effervescence des danses traditionnelles, une question cruciale persiste : comment garantir un développement durable quand l’accès à l’eau et aux routes reste un pari mortel ?
La province de Lomami, riche en terres agricoles, se heurte à un paradoxe tragique. Tandis que les cultures pourraient nourrir des milliers de familles, l’enclavement condamne les paysans à la pauvreté. Les forages d’eau réclamés par le chef Balonji représentent bien plus qu’une solution technique : ils symbolisent la rupture avec une précarité qui frappe surtout les femmes. Le vice-gouverneur Kayembe, présent aux cérémonies, a écouté ces doléances. Reste à savoir si ce plaidoyer historique se traduira par des actes concrets.
Alors que Bakua Mulumba souffle ses 75 bougies, son avenir dépend désormais de la réponse aux urgences vitales que sont l’eau et la mobilité. Sans route digne de ce nom, sans protection contre les crocodiles, comment cette chefferie pourrait-elle réaliser ses ambitions agricoles et culturelles ? Le chemin vers le progrès passe immanquablement par la sécurisation des femmes et le désenclavement des villages. Un défi que la RDC doit relever pour honorer ses racines tout en construisant son futur.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net