Les eaux sombres du lac Kivu viennent de s’emplir à nouveau de cris étouffés. Dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 juillet, une pirogue motorisée chargée de vies et d’espoirs a été avalée par les flots déchaînés à quelques encablures seulement de Kasunyu, dans le territoire de Kalehe. Partie de Kituku à Goma, cette embarcation de fortune transportait des passagers et leurs marchandises lorsqu’une tempête soudaine a transformé le trajet routinier en cauchemar aquatique. « On entendait les enfants pleurer avant que les vagues ne couvrent tout », murmure un rescapé anonyme, encore tremblant de cette nuit où la nature a rappelé sa toute-puissance.
Le bilan, provisoire mais déjà lourd, fait froid dans le dos : au moins huit personnes portées disparues et une quinzaine de rescapés miraculeux. Comment en est-on arrivé là ? Le comité des armateurs de Kasunyu pointe une violence météorologique imprévisible – vents furieux et vagues hautes comme des murailles – qui aurait surpris l’embarcation surpeuplée à quelques minutes seulement de l’accostage. Un scénario hélas trop familier sur ces eaux traîtresses où le moindre orage devient sentence de mort.
Depuis l’aube, des pêcheurs locaux et des habitants courageux sillonnent la zone du drame dans leurs barques fragiles, plongeant leurs mains nues dans les profondeurs troubles. Sans équipement de sauvetage, sans sonar ni même de gilets adaptés, ils mènent une course contre la montre désespérée. « On fouille avec des perches et nos filets, mais le lac garde ses secrets », confie l’un d’eux, le regard rivé sur l’horizon liquide. Cette solidarité villageoise bute sur un manque criant de moyens logistiques, révélateur d’un abandon systémique du transport lacustre RDC.
Ce naufrage n’est pas un accident isolé, mais le cinquième épisode tragique entre Goma et Kalehe depuis janvier. Chaque fois, le même scénario : des pirogues surchargées, des intempéries brutales, et des vies fauchées dans l’indifférence bureaucratique. La colère gronde aujourd’hui dans les collines de Kalehe où la population exige des comptes. « Combien de cercueils flottants faudra-t-il encore avant qu’on nous écoute ? », lance une mère de famille lors d’un rassemblement spontané. Tous les regards se tournent vers Kinshasa où dort une promesse présidentielle : celle d’équiper la région de bateaux modernes et sécurisés.
Cette promesse présidentielle bateaux, annoncée solennellement après des précédents drames, tarde désespérément à se matérialiser. Pendant ce temps, des milliers de Congolais continuent de risquer leur vie quotidiennement sur ces pirogues branlantes, seul lien vital entre les communautés riveraines. Le paradoxe est cruel : le lac Kivu, poumon économique de la région, se transforme en piège mortel faute d’investissements structurels. Les solutions existent pourtant – bateaux à coque renforcée, services météo locaux, formation des bateliers – mais manquent cruellement de volonté politique.
Derrière les statistiques glacées des « disparus Goma », se cachent des destins brisés : cultivateurs allant vendre leurs récoltes, femmes rejoignant leur famille, enfants partis étudier en ville. Chaque accident pirogue Kalehe vient rappeler que la sécurité lacustre n’est pas un luxe, mais un droit fondamental. Alors que les recherches se poursuivent dans une douleur collective, une question hante les rives : jusqu’à quand devrons-nous compter nos morts avant que cette promesse ne quitte les discours pour devenir réalité ? L’enjeu dépasse la simple logistique ; c’est la valeur accordée à chaque vie congolaise qui se joue sur ces eaux tumultueuses.
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net