Imaginez marcher des jours entiers, enceinte ou avec un enfant mourant de faim dans les bras, sans savoir si vous atteindrez l’hôpital à temps. C’est la réalité quotidienne dans les collines isolées de Walikale, territoire du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, où une crise humanitaire silencieuse décime femmes et enfants.
« Parfois, nous perdons ces mères. La distance est trop longue, leur état se complique… Lorsqu’elles arrivent, il est trop tard », confie le Dr Séraphin Kibwantu, chef du service de maternité de l’hôpital général de référence de Walikale. L’unique ambulance du territoire est immobilisée depuis des mois, transformant chaque accouchement ou urgence médicale en course contre la mort. Comment expliquer qu’en 2025, des vies se perdent faute d’accès aux soins élémentaires ?
La situation s’est dramatiquement aggravée depuis janvier. Les affrontements entre forces gouvernementales et groupes armés, dont le M23/AFC, ont déclenché des déplacements massifs de population et contraint la plupart des ONG internationales à quitter la zone. Médecins Sans Frontières (MSF) se retrouve pratiquement seule à faire face à une catastrophe annoncée. « La situation n’est pas tenable à moyen ou long terme », alerte Meaghan Hawes, coordinatrice MSF à Walikale.
Les chiffres révèlent l’ampleur du désastre :
- Admissions hospitalières en hausse de 6,7% au premier semestre 2025
- Malnutrition infantile explosive : +41,3% d’admissions dans l’Unité Nutritionnelle Thérapeutique Intensive
- 34 enfants morts de malnutrition en mai seul, contre 12 en avril
- Taux d’occupation des lits dépassant régulièrement 150%
Derrière cette crise sanitaire se cache une catastrophe alimentaire. La violence chronique a poussé les agriculteurs à abandonner leurs champs pour les mines artisanales, provoquant une chute vertigineuse de la production locale. Conséquence : les prix des denrées de base ont flambé (+50% pour la farine de maïs, +22% pour les feuilles de manioc), rendant l’alimentation décente inaccessible pour des milliers de familles.
« Ces chiffres reflètent une réalité insoutenable : trop d’enfants arrivent dans un état critique irréversible », explique Hawes. La mortalité infantile liée à la malnutrition a atteint des sommets insensés : +88,9% des décès dans les 24 premières heures après admission, et une augmentation terrifiante de 309% pour les décès survenant entre 24 et 48 heures. Ces petits corps n’ont tout simplement pas la force d’attendre les soins.
Le réseau sanitaire périphérique s’est effondré. « De nombreux centres sont vides, dévastés », témoigne Natalia Torrent des programmes MSF au Nord-Kivu. Pillages, absence d’équipements de base comme des balances pour peser les enfants, et fuite du personnel non payé rendent l’accès aux soins impossible dans les zones reculées. Les routes sont devenues des couloirs de la mort où circuler équivaut à un suicide.
Le ravitaillement médical relève désormais du parcours du combattant. Depuis la chute de Goma, MSF doit acheminer ses cargaisons par un détour via le Rwanda et l’Ouganda, contournant l’Ituri. Ce périple dantesque prend plus de trois semaines et coûte jusqu’à 8.000 dollars par envoi – autant de ressources détournées des soins directs.
Face à cette urgence absolue, MSF lance un appel solennel : « Nous exigeons un accès humanitaire sécurisé et un engagement immédiat des parties prenantes ». Chaque jour de retard se paie en vies d’enfants et de mères. La communauté internationale se souviendra-t-elle que Walikale existe avant que ce territoire ne devienne un cimetière à ciel ouvert ? L’accès aux soins dans le Nord-Kivu n’est plus une question de développement, mais de survie élémentaire.
Article Ecrit par Amissi G
Source: mediacongo.net