L’Inspection générale des finances (IGF) recommande des poursuites judiciaires pour détournement de fonds publics après avoir révélé d’inquiétantes irrégularités dans la gestion du contrat de concession de la route nationale 1 (RN1), selon un rapport confidentiel obtenu par notre rédaction. Ce document accablant met en lumière une surfacturation systémique et des montages opaques impliquant le consortium Sopeco-Crec7 et des hauts responsables congolais.
L’enquête menée en 2020 par l’IGF a établi que la Société des péages du Congo (Sopeco), dirigée par l’homme d’affaires chinois Simon Cong Maohuai, n’aurait pas déclaré 193 millions de dollars de recettes de péages entre 2015 et 2019. Par ailleurs, plus de 35 millions de dépenses non contractuelles ont été identifiées, tandis que l’affectation de 57 millions supplémentaires demeurait injustifiée. Comment un tel système a-t-il pu fonctionner pendant une décennie sous le contrôle de l’Agence congolaise des grands travaux (ACGT), elle-même partiellement financée par les entités qu’elle supervise ?
Le contrat initial de type Build-Operate-Transfer (BOT), attribué en 2008 pour la modernisation de cet axe vital reliant Kinshasa au port de Matadi, a vu son budget exploser de manière spectaculaire. Passant de 138 millions de dollars en 2010 à 514 millions en 2016, cette envolée des coûts interroge d’autant plus que la participation du consortium Sopeco-Crec7 ne s’élèverait qu’à 16,4% du financement total, soit 84,2 millions de dollars. Le solde incombant intégralement aux caisses publiques congolaises.
La structure de gouvernance présente des conflits d’intérêts patents. L’ACGT, chargée de superviser les travaux, perçoit une partie de son financement des partenaires chinois qu’elle doit contrôler, créant une relation de dépendance incompatible avec sa mission de régulation. Cette situation a facilité, selon le rapport, une surfacturation généralisée des marchés, notamment ceux confiés à la Société d’ingénierie et de construction (SIC).
Or, la SIC présente des liens troublants avec le ministre d’État à l’Aménagement du territoire, Guy Loando. Bien que ce dernier nie tout intérêt personnel dans l’entreprise, les documents statutaires montrent que Widal Investment, société familiale dont il était le représentant légal, détenait initialement 35% des parts de la SIC. Ces actions ont été transférées en juillet 2019 à Baby Mambo Kapaye, proche collaborateur de l’épouse du ministre. La SIC a obtenu des contrats cumulés à 70 millions de dollars avec Sopeco peu après sa création en 2019, dont deux projets explicitement pointés par l’IGF pour surévaluation.
Les incohérences techniques ne sont pas en reste. Un expert du ministère des Infrastructures a confirmé que les caniveaux anti-érosion, censés protéger la RN1 et Kinshasa des inondations récurrentes, souffriraient de défauts de conception et d’exécution. Sous-dimensionnés et mal finis, ces ouvrages s’ensablent rapidement, expliquant en partie les catastrophes hydriques qui frappent régulièrement la capitale. Ces défaillances mettent en lumière l’écart entre les engagements contractuels et la réalité des réalisations.
Malgré la sévérité de ses conclusions, le rapport de l’IGF daté du 23 avril 2021 n’a donné lieu à aucune suite judiciaire. Les inspecteurs recommandaient pourtant des poursuites contre Simon Cong Maohuai et plus de deux douzaines de fonctionnaires. L’enterrement de ce dossier intervient dans un contexte politique particulier : à l’époque, Félix Tshisekedi consolidait sa coalition gouvernementale, et Guy Loando figurait parmi les artisans clés de cette transition. Le ministre, qui qualifie Simon Cong de « mentor », a-t-il bénéficié de protections empêchant l’aboutissement de l’enquête IGF Sopeco ?
Les mécanismes de contrôle semblent avoir systématiquement failli. L’ACGT n’a pas réalisé les études préalables permettant de vérifier la conformité des coûts présentés, tandis que la Sopeco ne justifierait que 40% des dépenses engagées selon les pièces comptables examinées. Cette opacité a perduré malgré le changement d’administration, soulevant des interrogations sur la pérennité des pratiques dénoncées dans le contrat concession RN1.
Alors que le consortium conserve ses droits d’exploitation jusqu’en 2029, aucun réexamen fondamental du partenariat public-privé n’est annoncé. L’absence de transparence sur l’utilisation du demi-milliard de dollars déjà injecté et les récentes inondations meurtrières d’avril 2025 rappellent l’urgence d’un audit indépendant. Sans réforme structurelle des mécanismes de supervision, la RN1 restera ce symbole paradoxal : une artère économique vitale minée par une corruption institutionnalisée.
Article Ecrit par Cédric Botela
Source: Actualite.cd