Le bruit sec des détonations a résonné comme un glas dans la fraîcheur matinale de Djuti. Depuis mercredi, ce village aux portes de Bunia, en Ituri, ressemble à une coquille vide. « Nous avons tout abandonné : nos champs, nos poules, jusqu’aux photos de nos enfants », confie Mama Kavira, les mains tremblantes. Comme une centaine d’autres familles, elle a fui précipitamment, emportant à peine le strict nécessaire. La source de cette panique ? Un conflit foncier ancestral entre les groupements de Babiase et Dele, dont les cicatrices viennent de se rouvrir violemment.
L’escalade a commencé vendredi dernier quand des centaines de jeunes armés de machettes ont envahi Djuti, Talieba et Nginda. « Ils brandissaient des parchemins jaunis en hurlant que ces terres leur appartenaient depuis leurs ancêtres », raconte un ancien du village, préférant garder l’anonymat par peur de représailles. Chaque camp présente des titres coutumiers concurrents sur ces lopins convoités, transformant une simple délimitation territoriale en poudrière communautaire.
Mercredi matin, la tension a basculé dans l’horreur. Des coups de feu ont claqué près du marché de Djuti, semant la psychose. Deux hommes gisent aujourd’hui à l’hôpital de Bunia, blessés par balles, tandis qu’une mère de famille est portée disparue. « Elle était partie chercher de l’eau au puits… on ne l’a jamais revue », murmure une voisine, les yeux rivés sur l’horizon désert. Comment en est-on arrivé là ? La réponse se niche dans l’âpreté d’une crise foncière qui gangrène l’Ituri.
Dans le quartier voisin de Lengabo, les portes claquées témoignent de l’étendue de l’exode. Des maisons abandonnées en pleine journée, des étals de marché laissés à l’abandon : le paysage urbain porte les stigmates de la peur. L’administrateur du territoire d’Irumu a bien tenté une médiation d’urgence, réunissant les chefs coutumiers des deux camps. Mais les appels au calme se heurtent à une réalité économique implacable : ces terres disputées génèrent des revenus vitaux pour des communautés entières. « Sans ces champs, nos enfants ne mangent pas à leur faim », justifie amèrement un notable de Babiase.
La violence territoriale dans l’Ituri n’est malheureusement pas un fait isolé. Elle s’inscrit dans une crise foncière plus large qui mine la RDC, où la superposition des droits coutumiers et des titres modernes crée un terreau fertile aux conflits. Pourquoi l’État reste-t-il si absent dans l’arbitrage de ces litiges ? La question brûle les lèvres des déplacés entassés dans des abris de fortune à Bunia. Ils réclament une intervention gouvernementale urgente avant que d’autres vies ne soient fauchées.
Alors que le soleil décline sur Djuti, le silence qui règne dans le village fantôme est plus lourd que les détonations de la veille. Cette déchirure communautaire entre Babiase et Dele illustre tragiquement comment la question foncière peut dégénérer en bombe sociale. Derrière chaque famille en fuite se cache une interrogation fondamentale : jusqu’à quand la terre continuera-t-elle de se nourrir du sang de ses enfants en Ituri ?
Article Ecrit par Chloé Kasong
Source: radiookapi.net