La forêt du bassin du Congo, ce poumon vert essentiel à l’équilibre climatique planétaire, se dote d’une nouvelle boussole stratégique. La Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC) s’apprête à publier l’État des aires protégées d’Afrique centrale 2025 (EDAP 2025), un rapport qui promet de bouleverser les paradigmes de la conservation. Loin d’être une simple mise à jour statistique, cette troisième édition, élaborée par l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale avec le soutien financier de l’Union européenne, intègre des dimensions longtemps marginalisées : droits des communautés locales, résolution des conflits armés et surtout, une remise en question frontale des modèles hérités de la colonisation.
« Nous voulons concilier conservation et développement, et non plus faire de la conservation pour la conservation », martèle Chouaïbou Nchoutpouen, secrétaire exécutif adjoint de la COMIFAC. Ce cri du cœur résume la philosophie de ce document présenté aux experts du Partenariat pour les forêts du bassin du Congo. L’EDAP 2025 ose aborder la question taboue du « néocolonialisme vert », ces pratiques conservationnistes qui perpétuent des schémas d’exclusion des populations autochtones. Comment protéger la biodiversité sans nier les droits ancestraux ? La réponse se construit page après page dans ce rapport ambitieux.
Au cœur de la démarche : l’objectif 30×30 du Cadre mondial de la biodiversité. Cet engagement crucial visant à protéger 30% des terres et mers d’ici 2030 trouve dans l’EDAP 2025 un allié stratégique. Le document fournira aux décideurs des données inédites pour orienter les politiques nationales et les négociations internationales sur le climat. « Nous ne pouvons pas faire de conservation sans tenir compte des préoccupations des populations vivant autour des aires protégées », insiste Abdon Awono, expert au CIFOR-ICRAF. La durabilité exige désormais l’intégration des savoirs locaux aux solutions scientifiques.
Les conflits Homme-Faune, véritable plaie ouverte dans de nombreuses régions d’Afrique centrale, reçoivent une attention particulière. L’EDAP 2025 documente minutieusement ces tensions, notamment les ravages causés par les éléphants sur les cultures vivrières. Mais au-delà du constat, le rapport met en lumière des solutions innovantes : répulsifs à base de piments, dispositifs sonores pour éloigner les pachydermes, et autres initiatives locales qui transforment la cohabitation en collaboration. Ces approches illustrent la nouvelle philosophie : une conservation par et pour les communautés.
En revisitant l’histoire mouvementée des aires protégées, certaines créées durant l’époque coloniale sans consultation des populations, l’EDAP 2025 pose des questions fondamentales. Quels sont les fondements légitimes de la conservation au XXIe siècle ? Comment dépasser les modèles imposés pour construire une protection inclusive ? Ces interrogations cruciales font de ce document bien plus qu’un rapport : une feuille de route pour réconcilier l’humain et l’écosystème.
Alors que sa publication officielle est attendue dans les prochains mois, l’EDAP 2025 s’annonce déjà comme un instrument décisif pour les États membres de la COMIFAC. Dans un contexte où les aires protégées d’Afrique centrale subissent des pressions croissantes, ce rapport ouvre la voie à une conservation réinventée. Une conservation où la protection de la biodiversité rime avec justice sociale et où chaque arbre sauvé compte autant que chaque droit humain préservé. La révolution verte est en marche – et elle se lit en français.
Article Ecrit par Miché Mikito
Source: Actualite.cd
