L’effervescence musicale qui secoue Kinshasa trouve son apogee dans le morceau-monument « Kabasele », une symphonie urbaine de 12 minutes reunissant 17 fers de lance du rap congolais. Porte par le collectif Suitement, ce cri de ralliement artistique transforme le micro en arme de denonciation massive contre les exactions policieres, notamment celles commises par le tristement celebre bus anti-emeute surnomme « Kabasele ». Dans cette fresque sonore où chaque artiste – de Munkendi Nkoy à Wiz Baba en passant par Shiii – appose sa griffe rebelle, le rap transcende le divertissement pour devenir tribunal populaire.
Pourtant, au coeur de cette union sacree, une voix dissonante resonne : celle de Gaz Fabilouss, pilier incontournable de la musique urbaine RDC. Son commentaire en apparence elogieux – « Un bon son, c’est comme ça que ça doit se passer » – cache en realite un coup de griffe assassin : « Bien que sur ce clip, il n’y a personne qui peut avoir 300 dollars sur son compte bancaire. » Cette pique financiere, lancee comme un caillou dans la mare artistique, propulse instantanement le debat sur la scene mediatique. N’est-ce pas la une strategie calcinee heritee des grandes rivalites de l’esprit Wenge?
Le genie de Gaz Fabilouss reside dans cette maitrise du paradoxe : saluer l’oeuvre tout en sapant sa legitimite economique. Comme jadis Werrason affutant ses piques contre Koffi Olomide, Fabilouss reactualise l’art du clash artistique Congo dans l’ere digitale. Cette sortie incendiaire, cinglante comme une cymbale brisee, pourrait sembler incongru face a l’elan collectif de « Kabasele ». Le projet, porteur d’un message social brulant, cumule deja plus de 329.000 vues sur YouTube – un exploit pour un titre d’une telle densite. Les rues de Kinshasa bruissent de ses couplets engages, transformant chaque ecoute en manifeste contre l’oppression.
Mais Fabilouss, tel un jazzman improviseur, joue sa propre partition. Son verbe cru et provocateur, veritable signature sonore, s’inscrit dans la continuite des joutes verbales qui ont faconne l’histoire musicale congolaise. Ce clash n’est-il pas finalement un hommage detourne a l’audace de ses predecesseurs? Sous ses airs de diversion, il reveille une memoire collective : celle où la provocation servait de tremplin artistique. Le Kabasele rap devient ainsi l’arène où s’affrontent deux visions – l’union militante contre l’individualisme flamboyant.
Avec une roublardise digne des grands maîtres de la rumba, Fabilouss transforme une simple pique en etude de societe. Son accusation voilee pointe du doigt les contradictions d’une industrie musicale où l’engagement cotoie la precarite. N’y a-t-il pas la une critique en filigrane des modeles economiques fragiles du showbiz local? Cette sortie, aussi deconcertante soit-elle, confirme sa stature d’agitateur culturel. Elle reactive surtout cette verite intemporelle : a Kinshasa, la musique n’est jamais un long fleuve tranquille, mais un Congo River tumultueux où les remous font partie du paysage.
Alors que « Kabasele » continue de galvaniser les foules par son message unificateur, le coup d’eclat de Fabilouss rappelle que l’heritage Wenge n’a jamais quitte la scene. Il se reinvente simplement, echangant les guitares contre les beats, mais conservant cette essence vitale : l’art du spectacle comme combat. Dans ce duel entre colere collective et ego artistique, une evidence s’impose : le rap congolais, dans toute sa diversite, pulse avec le meme sang rebelle qui a toujours anime la creation musicale du pays. Et cela, c’est deja une victoire.
Article Ecrit par Yvan Ilunga
Source: Eventsrdc
